dimanche 11 décembre 2011

rester dans l’ombre


http://www.musee-virtuel.com/docs/giono/giono.gif 
Je prononce d’abord la formule d’exorcisme moderne : Les héros de ce roman appartiennent à la fiction romanesque, et toute ressemblance avec des contemporains vivants ou morts est entièrement fortuite ; également toute similitude de noms propres.
Rien n’est vrai. Même pas moi ; ni les miens ; ni mes amis. Tout est faux.
Maintenant, allons-y. Ici commence Noé.
Je venais de finir d’écrire Un roi sans divertissement. La tête de Langlois venait à peine d’éclater sur mon papier que je me suis dit (et très violemment) : « Tu as mené ce personnage jusqu’au bout de son destin. Il est mort, maintenant. Il est là, étendu par terre dans son sang et sa cervelle répandus. Là-bas, Delphine et Saucisse viennent d’ouvrir la porte du bungalove ; elles appellent Langlois comme si elles espéraient qu’il va encore pouvoir leur répondre. Et, est-ce qu’il ne leur répond pas, tel qu’il est là ? Est-ce que ce n’est pas une réponse suffisante ? Si tu fais tant que d’attendre que Delphine arrive au bord du carnage avec ses petits souliers fins ; si tu fais tant que d’essayer de la décrire, retroussant ses jupes au-dessus du sang et de la cervelle de Langlois comme au bord d’une flaque de boue, tu vas voir que Delphine va vivre. Alors, tu n’as pas fini. Tu sais bien qu’elle est toute neuve. Est-ce qu’elle était préparée à cet éclat ? Non. Tu l’as dit toi-même : elle avait rangé soigneusement les boîtes à cigare de chaque côté de la glace de la cheminée. Et n’oublie pas que tu as parlé de ce tablier blanc (impeccable, à bavette brodée) qu’elle faisait porter à sa petite bonne dans la maison de Grenoble. Tout ça, ce sont des signes. Amène-la seulement jusqu’ici ; attends qu’elle ait traversé le labyrinthe de buis (où tu entends déjà qu’elle court en frappant les dalles de ses talons de bottines comme une biche frappe les rochers de ses sabots) et tu verras qu’elle va vivre.
 
Jean Giono, Noé, la Table ronde, 1947.
 
Ce billet en réponse à une amie grande lectrice qui cherche Noé et a du mal à le trouver. Sans être pour ma part inconditionnel de Giono, je reste toujours fasciné par Un roi sans divertissement (un jour je raconterai peut-être l’histoire de cette lecture-là), et j’ai aussi la plus grande tendresse pour ce Noé. Qui, en effet, reste encore assez peu connu du public, et à peu près introuvable. Comme si, même quand l’auteur est célèbre, la littérature aimait à rester dans l’ombre.



Commentaires

tendresse partagée presque plus pour Noé que pour le roi - ah les paysages qui entrent pas la bitbliothèque et sortent par la fenêtre (enfin à peu près)
Commentaire n°1 posté par brigetoun le 11/12/2011 à 17h38
(La lecture d'Un roi est liée pour moi à une histoire d'amitié adolescente, alors forcément...)
Noé, un vrai beau grand texte ; c'est sûrement pour ça qu'il est si peu connu.
Réponse de PhA le 11/12/2011 à 17h44
Merci Philippe, et oui je le cherche et le trouverai un jour...
Commentaire n°2 posté par Pascale le 11/12/2011 à 17h46
C'est beau, les quêtes.
Réponse de PhA le 11/12/2011 à 18h07
Un regain pour la réédition de Noé s'imposerait...
Commentaire n°3 posté par Dominique Hasselmann le 12/12/2011 à 07h42
Ce serait un bonheur fou.
Réponse de PhA le 13/12/2011 à 18h23
En effet, si vous trouvez Noé avant moi, offrez-le moi pour Noël ou mon anniversaire, car je ne le trouve pas non plus.
De Giono, avez-vous lu Un de Baumugnes ?
Commentaire n°4 posté par Anna de Sandre le 17/12/2011 à 09h42
Un Noé pour elle, pour son Noël !
(Non, mais j'ai lu Colline.)
Réponse de PhA le 17/12/2011 à 20h50
Lisez-le.
Commentaire n°5 posté par Anna de Sandre le 17/12/2011 à 22h03
Bien. (J'apprécie toujours l'autorité.)
Réponse de PhA le 20/12/2011 à 23h11

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