vendredi 4 mars 2011

Ce billet ne parle pas du tout de littérature.


Dans la foule des gens sur le quai, à la descente du train, je dépasse un grand jeune homme. Un très grand jeune homme : il doit faire près de deux mètres. Un peu plus loin, dans un genre différent, un snowboard sur l’épaule, en voici un autre, bien plus grand encore, sans doute près de deux mètres dix. Je cherche en vain le sens de ces apparitions, je sais que c’est en vain : c’est la réalité – quand j’arrive à Paris, hier en fin d’après-midi, un grand type parmi la foule, puis un autre bien plus grand encore. Ne cherchez pas le sens.
J’allais à la rencontre consacrée à Victoria Horton, qui présentait ses Attachements aux Cahiers de Colette. J’aime sa façon de parler de son livre comme si elle l’avait vu s’écrire, en témoin. Ça a l’air polyphonique et violent sans le dire, je suis reparti avec. C’était bien, mais il y avait trop peu de monde – c’est trop souvent le cas, qu’il y ait trop peu de monde.
Puis je suis allé écouter Pierre Jourde interviewé par les Cosaques Olivier Maulin et Romaric Sangars. Belle soirée, chaude ambiance. J’aime l’écrivain, qui n’hésite pas à prendre le risque de dérouter son public ; son parcours m’intéresse, d’ailleurs j’en ai déjà parlé ici et là.
Il a d’abord été question de l’affaire Céline, à célébrer ou pas, c’est les Cosaques qui voulaient en parler apparemment. C’est un sujet qui m’intéresse et qui ne m’intéresse pas. Disons que ça m’intéresse seulement parce que pour moi c’est un non-sujet – et les non-sujets m’intéressent. Personnellement, les hommages aux écrivains, les anniversaires de leur mort ou de leur naissance, je suis contre (ou plus simplement : je trouve ça crétin) – et même pour les écrivains qui sont des braves types. Pierre Jourde aussi, d’ailleurs. Qu’on fête en 2012 le 80e anniversaire de la publication du Voyage, pourquoi pas. Mais célébrer les auteurs, des personnes, quoi, comme les saints autrefois, je trouve ça malsain, tiens. Et facile. Et trompeur. C’est faire semblant de s’intéresser à la littérature. On parle de l’auteur, et les livres c’est déjà presque de la déco. Au mieux, c’est ce qu’il a fait, ses positions, son destin qui compte. (Son physique ? bien sûr, ça compte aussi.) (Déjà en 2010 avec Camus je ne pouvais m’empêcher de me dire que la Peste, dans mon souvenir, ça n’est pas un si grand livre, par rapport à d’autres. Pourtant je n’ai rien contre Camus.) Mais enfin, ces anniversaires ont le mérite de rappeler à qui s’y intéresse un peu que la postérité ne rend pas justice à la littérature ; je ne crois pas du tout à ce mythe rassurant.
Mais ça va bien avec l’époque, cette mise en avant de l’écrivain au détriment de son œuvre. Ça me fait penser à Sollers, tiens. (Enfin, c’est Jourde aussi qui m’y fait penser.) En réalité je ne sais pas du tout ce qu’ils valent, les livres de Sollers ; son nom les cache, du coup je n’en ai jamais lu. Au fond, c’est quand même dommage : Sollers est une victime.
C’est dommage parce que c’est la littérature qui disparaît, même quand on croit parler de littérature. Ce billet, par exemple, ne parle pas du tout de littérature : il parle juste de la représentation de la littérature.
Il a été question aussi du travail de critique de Pierre Jourde, il nous a lu son article sur Philippe Djian, on s’est bien marré. Il a un vrai talent (Jourde, pas Djian) pour relever les travers d’écriture de ses contemporains. Bon, on le savait déjà ; d’ailleurs cet article-là je l’avais déjà lu sur son blog, mais ça fait du bien de rire un peu. Et ça ne fait de mal à personne, pas même à Djian ; un jour il faudra réfléchir aussi à l’étanchéité des cloisons entre les lectorats, qui nous vaut tous ces auteurs insubmersibles.
Mais en fait, Djian, moi, je ne l’ai jamais lu. Jamais eu l’idée. Pour cette grosse cavalerie, mon radar personnel me suffit. Les articles de Jourde, les charges, je les aime surtout parce qu’elles me font rire ; même si je reconnais la pertinence de l’argumentation. C’est bien de parler de la littérature qui n’en est pas vraiment en montrant en quoi elle n’en est pas vraiment, et c’est vrai que Pierre Jourde le fait très bien, mais au fond, je ne peux pas m’empêcher de penser que ça risque encore d’être une manière de ne pas parler de la littérature – puisqu’il s’agit de montrer en quoi ça n’en est pas. C’est pourquoi je me réjouis davantage quand le même Pierre Jourde nous parle d’Alexander Dickow, par exemple. Vous ne connaissiez pas ? C’est bien ce que je dis. (Eh flûte ! je m’aperçois que ce bel article a disparu des Confitures de culture, j’espère pour cause de publication en recueil ; ça lui fera quelques lecteurs en plus.)
Je disais l’autre jour la difficulté à parler des livres singuliers. En réalité je connais (façon de parler) pas mal de personnes qui le font de leur mieux, et souvent très bien. C’est souvent l’audience qui leur manque. C’est pourquoi on compte sur ceux qui ont non seulement le talent pour le faire mais aussi une meilleure sono. (Bon, c’est vrai : qui c’est çui-là qui veut mettre tout le monde au travail ? Désolé pour la déformation professorale.)
Quant à moi, à titre personnel, je me réjouis de la lecture (prochaine ?) de l’œuvre encore en cours de Jourde, son Maréchal absolu dont il nous a lu un bel extrait, c’était appétissant. Ce sera sûrement l’occasion de parler de littérature, quoi.
Et puis une fois rentré, encore une fois par un train qui, un peu après mi-chemin, n’existait plus, la SNCF est un esprit farceur, j’ai trouvé cet écho au silence de mardi ; bien sûr Claro qu’on va continuer à échouer mieux encore.



Commentaires

Les basketteurs prennent aussi parfois le train...
Commentaire n°1 posté par JEA le 04/03/2011 à 11h15
A l'accessoire du plus grand, c'était plutôt un snowboarder (c'est comme ça qu'on dit). ça donne d'ailleurs l'échelle : il portait sa planche sur l'épaule, dans la foule pressée sur le quai, et ladite planche passait largement au-dessus des têtes ; personne n'avait besoin d'y prendre garde.
Réponse de PhA le 05/03/2011 à 11h10
Ceci n'est pas un commentaire.
Commentaire n°2 posté par albin le 04/03/2011 à 11h46
Comment taire que c'en est un d'autant plus.
Réponse de PhA le 05/03/2011 à 11h08
Ce billet ne parle pas du tout de littérature.
Ben, il était temps, j'ai failli te prendre pour un écrivain 
Commentaire n°3 posté par Moons le 04/03/2011 à 17h56
Pas du tout : je ne suis que l'auteur de mes livres.
Réponse de PhA le 05/03/2011 à 11h06
"La peste" m'a toujours paru être un petit roman plein d'intentions, ce qui a dû le propulser auprès des profs de français ; Djian, commencé et laissé tomber. La littérature n'a pas besoin d'hommages, juste d'être lue. Et les auteurs n'ont pas beaucoup d'importance au fond.
Commentaire n°4 posté par Francesco Pittau le 04/03/2011 à 17h58
Disons que c'est sûrement assez facile de faire un cours dessus, il y a des accroches - mais le prof de français que je suis aussi par ailleurs n'a jamais été tenté. Les auteurs, non seulement ils n'ont pas beaucoup d'importance, mais ils sont même plutôt un obstacle dans l'accès à leur oeuvre, parfois même à leur corps défendant.
Réponse de PhA le 05/03/2011 à 10h54
C'est l'heure de Lapérouse. Vous auriez de la Boussole ?
Commentaire n°5 posté par Dom A. le 04/03/2011 à 19h16
Je peux vous servir un doigt d'astrolabe.
Vous me rappelez un petit regret ; à cause du train je n'ai pas pu rester trinquer avec les Cosaques et leur invité ; je me rattrape (même si c'est un peu tôt dans la journée).
Réponse de PhA le 05/03/2011 à 11h05
Déjà peu de temps pour lire, alors en parler...
Commentaire n°6 posté par Zoë le 04/03/2011 à 19h57
Entre les secondes, il y a du temps qui se cache : cherchez bien !
Réponse de PhA le 05/03/2011 à 11h00
Parfaitement en accord sur tout, et sur Jourde notamment, mais je ne peux plus dire (désormais) la même chose pour Sollers, dont j'ai lu cette année un livre (si !) que j'ai bien aimé...
Ah, les anniversaires... Même les anniversaires de naissance sont barbants et vains, si on y réfléchit.
Commentaire n°7 posté par Sophie K. le 04/03/2011 à 21h43
Quand je vous dis que Sollers est une victime !
(Oui, même dans le privé, les anniversaires... On devrait fêter tous les jours ceux qu'on aime.)
Réponse de PhA le 05/03/2011 à 10h46
"Et les auteurs n'ont pas beaucoup d'importance au fond", écrit Francesco Pittau :
et à la surface ?
Commentaire n°8 posté par Dominique Hasselmann le 05/03/2011 à 10h14
Je suis assez d'accord avec ça, et même encore plus, d'ailleurs. J'ai déjà lu ou entendu je ne sais plus où que j'étais un auteur "modeste" ; c'était un compliment bien sûr mais ce n'est pas du tout la réalité : on a juste pris pour une qualité ce qui n'est qu'une conviction.
Réponse de PhA le 05/03/2011 à 10h59
@DH. Et à la surface, juste pendant le temps de l'actualité.
Commentaire n°9 posté par Francesco Pittau le 05/03/2011 à 11h02
Cela dit vous approuve, partage vos impressions.
Commentaire n°10 posté par albin le 05/03/2011 à 14h05

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