mardi 1 mars 2011

du bruit et du silence aux environs de la littérature

C’est vrai que la poésie se répand, me disais-je l’autre jour après la lecture d'un article d’Eric Loret. Non que sa lecture soit de plus en plus répandue, ça se saurait, mais elle tend à sourdre hors du champ que l’usage lui avait imparti, à infiltrer des textes qu’on classera parfois en romans pour qu’ils soient plus vendables (?) – et qui souvent sont ceux que j’aime. Ils ont en commun une façon de ne pas arrêter le sens à ce qu’ils ont l’air de dire et surtout
ils ont en commun cette qualité de n’avoir au fond que très peu en commun même entre eux. Les ventes des plus fameux doivent dépasser parfois les cinq mille exemplaires (j’imagine, n’ayant aucune notion de ces chiffres-là comme des autres) alors que leurs auteurs dépassent la soixantaine et publient depuis près de trente ans ; de plus jeunes aussi doués s’apprêtent à en vendre le tiers au même âge et pourront en être heureux.
Il n’est jamais si difficile en effet que de parler d’un livre vraiment singulier ; il faut trouver des mots qui n’existent pas encore, et quand on les a trouvés c’est pour se rendre compte qu’ils auront toutes les chances de n’être pas compris : comment faire sentir au lecteur quelque chose qu’il n’a pas encore senti ? Mais comme il faut écrire son avis quand même, l’opinion est un rite auquel on ne saurait déroger, on écrira plutôt sur tel autre livre parce que c’est plus facile et qu’il n’est pas si mal, ou sur celui qui ne vaut pas grand-chose parce qu’on peut plus aisément dire pourquoi.
Parfois je me demande si ce bruit autour (à la périphérie) de la littérature ne finit pas par lui être encore plus nuisible – plus trompeur – que le silence qui en réalité l’entoure.



Commentaires

Bien sûr que ce bruit est nuisible. Ce qui est nuisible aussi, de plus en plus souvent, c'est la lecture des quatrièmes de couverture où l'éditeur résume, mal, l'ouvrage, avec des accroches faites pour vendre et qui me font fuir. Si je n'avais pas pris le dernier Coe à la bibliothèque de mon quartier, je ne l'aurais peut-être pas acheté. Alors que c'est un bon Coe. Ces quatrièmes de couv' font du bruit et rien d'autre.
Commentaire n°1 posté par Dominique Boudou le 01/03/2011 à 21h41
Le fait est. La 4e de couverture est aussi un instrument de la facilité : plus le livre est riche, moins la 4e de couverture pourra lui rendre justice. C'est encore une fois la médiocrité qui s'en tire le mieux.
Réponse de PhA le 02/03/2011 à 14h20
Beaucoup de bruit pour rien, mais laissons nos tam-tam s'en faire l'écho, tu ne crois pas ? Il n'y aurait rien de nouveau sous le soleil si la lune n'avait pas son orbe à dire
Commentaire n°2 posté par Moons le 01/03/2011 à 22h30
Autrefois, les tamtams inquiétaient. Aujourd'hui, ils rassurent - hélas.
Réponse de PhA le 02/03/2011 à 14h21
Il ne faut pas généraliser et tomber dans l'amertume inverse de ce qui se fait aussi, vaillamment et autrement... chacun est responsable, à son échelle. Faire un état des lieux, oui, mais ne pas oublier la minorité qui essaie de mettre en lumière la littérature, poétique ou pas. Il existe de bons 4e de couv (les minimalistes), de bons éditeurs et de bons livres qui sont bien compris par certains lecteurs. Que la paresse existe dans la profession oui, mais mettre tout sur le dos du bruit inhérent, qui parasite l'ensemble, me semble caricatural et injuste... je préfère le silence.
Commentaire n°3 posté par Pascale le 01/03/2011 à 23h12
Mais tu sais bien que je n'oublie pas la minorité, Pascale ; même que je l'embrasse ici. D'ailleurs je ne cherche pas à rendre qui que ce soit responsable de l'effacement de la littérature dans sa représentation (car concernant sa créativité je n'ai aucun doute, quand je parle d'effacement de la littérature cela concerne d'abord la lecture de nos contemporains mais aussi celle de nos anciens) ; mais, pour dire les choses simplement, j'ai le sentiment qu'il y a quelque chose qui ne va pas dans la représentation de la littérature, et que même si certains le disent on fait encore trop comme si ce n'était pas le cas.
Réponse de PhA le 02/03/2011 à 14h17
Quand je dis que nous sommes chacun responsable, je le pense. C'est comme le trop courant "c'est la faute à l'état", et on se tient en retrait sans se sentir concerné. Mais l'état c'est nous. Le problème de la représentation littéraire a des sources multiples et complexes.
S'il y a trop de bruit, pourquoi ne pas commencer par arrêter de l'alimenter : en cessant l'envoi de SP par exemple, l'idée n'est pas nouvelle, Deleuze le disait déjà. Mais voilà, la crainte (des éditeurs et des auteurs) serait que la littérature disparaisse totalement des journaux. Pour moi, c'est un risque à prendre, au point où on est. Car quel est le risque, réellement, quand on lit ce que l'on lit aujourd'hui dans les colonnes journalistiques ? Peut-être qu'il y aurait plus de place, au final, pour la littérature...?
Commentaire n°4 posté par Pascale le 02/03/2011 à 15h44
Je suis complètement d'accord à propos de la responsabilité partagée (y compris par ceux qui ne se sentent pas du tout concernés), c'est d'ailleurs la conclusion de mon prochain article sur Mélico.
Je suis bien d'accord sur l'effet pervers des envois massifs des services de presse ; c'est le début de l'inégalité : il est bien évident que les SP coûtent à l'éditeur, et que les éditeurs n'ont pas du tout les mêmes moyens. (Sans parler du fait qu'on les retrouve en occase - en occase à plus de 50 % du prix de vente, tout de même, ce qui est à la fois un mal et bien - chez Gibert et ailleurs dès la sortie du livre, et parfois même avant sa sortie.) Mais je vois mal cependant comment trouver un accord sur le sujet : les grandes maisons d'édition n'y auraient aucun intérêt.
Réponse de PhA le 02/03/2011 à 16h41
Je regardais récemment un livre d'André Breton, "Les Vases communicants" (édition de septembre 1967), paru chez Gallimard : sur la quatrième de couverture, uniquement le beau sigle en forme de nef de la nrf.
Cette manie des résumés au dos d'un livre - comme une sorte de bande-annonce - est la plupart du temps pénible. Il faudrait inventer des livres qui n'aient qu'une "première (et dernière) de couverture".
Quant au bruit fait autour de la littérature, les amateurs savent faire le tri, surtout avec les yeux.
Commentaire n°5 posté par Dominique Hasselmann le 02/03/2011 à 16h46
Les éditions José Corti ont longtemps fait de la résistance à cette manie des 4e. Sinon j'aime bien les 4e très elliptiques d'Allia. Mais cette dictature des 4e est plus un symptôme qu'un problème.
Réponse de PhA le 02/03/2011 à 16h54
Un livre est fait pour être vu, feuilleté, acheté et peut être lu. Il est fait pour être cannibalisé. Si on n'accepte pas cette loi autant ne pas écrire ce que nombre de gens qui pourraient le faire font. Entre la quatriéme de couverture, il y a le libraire, il y en a de bons. Un libraire, le lecteur peut le former. Il y a, aussi, le lecteur potentiel qui roule et croule sous les vagues incessantes des publications. Il est orpailleur mais l'or est rare et très dispersé. Ecrire un commentaire sur un ouvrage est un exercice d'acrobatie difficile, adapter sa singularité à celle d'un auteur l'appréciait, le jauger, l'aider sans le juger demande de beaucoup puiser en soi et vite. c'est un acte d'écriture accopmpli dans les soutes.
Commentaire n°6 posté par patrick verroust le 02/03/2011 à 16h49
"et peut être lu" ou "et peut-être lu", chez Patrick ? Votre oubli peut(-)être intentionnel du trait d'union est déjà à lui seul un commentaire.
Il y a bien sûr de magnifiques libraires, j'en connais quelques-uns ; je leur laisserais volontiers la parole pour dire mieux que moi les difficultés qu'ils rencontrent pour faire leur métier comme ils le souhaiteraient. Je partage aussi votre vision à propos de "l'acte d'écriture accompli dans les soutes".
Réponse de PhA le 02/03/2011 à 17h01
Je ne lis jamais 1) les argumentaires des éditeurs, 2) les 4e de couv et 3) au Dilettante (dont j'aime uniquement la publication des anciens, on s'en tient à zéro 4e de couv et je trouve ç a très bien). Mais je sais, par les libraires et les bibliothécaires, que TOUT LE MONDE commence par lire le 4e de couv en cherchant un livre. Comment leur en vouloir ? Comment faites-vous quand vous devez acheter n'importe quel produit où vous n'y comprenez rien (un robinet, une machine à laver ou n'importe quoi d'autre) ? Pareil, en tout cas moi. Donc il faut savoir ce à quoi on s'attelle, si on s'interroge sur un manque de visibilité au niveau des vrais lecteurs ou de monsieur-tout-le-monde qui lit un à deux livres par an, et qui n'est pas à blamer.
Commentaire n°7 posté par Pascale le 02/03/2011 à 17h11
Au Dilettante il me semble que le texte de la 4e est sur le rabat de la couverture, non ?
Sinon, pour le robinet (d'ailleurs c'est d'actualité), j'ai un plombier de confiance. Mais je m'accomoderais très bien des 4e, au fond je m'en fiche un peu ; c'est juste la disparition de la littérature (toujours en terme de représentation : la possibilité de savoir que ceci ou cela existe) qui me chiffonne un peu.
Réponse de PhA le 02/03/2011 à 17h41
Moi ça ne me chiffonne pas plus que ça, j'ai confiance, je me dis que ça va péter et tant que je trouverais de bons livres... je connais de plus en plus de petits éditeurs qui n'envoient plus de SP et ils ne se portent pas plus mal qu'avant, voire mieux financièrement grâce à un gouffre au poste "SP" disparu, idem chez les libraires (qui de plus en plus ne jouent pas franc jeu) et un site où leur catalogue permet l'achat.
Commentaire n°8 posté par Pascale le 02/03/2011 à 18h03
Puisses-tu avoir raison !
Réponse de PhA le 02/03/2011 à 19h00
C'était un oubli involontaire comme les fautes d'orthographe, je suis désolé de ces dernières mais l'absence du trait d'union vous a fait, au moins sourire et commettre un bon mot auquel je souscris et qui prête à réflexion . Acheter un livre, c'est déjà l'honorer, Être en disposition de le lire ou pas, est autre chose. Comme en matière de spectacles vivants, il manque de vraies bonnes plumes capables d'analyses critiques solides. Il y a un lectorat, vraiment cultivé et connaisseur , il est en déshérence. Les livres se diffusent, un peu, par coterie. Ce n'est pas leur objet. Fondamentalement , pour moi, une œuvre artistique s'adresse à l'étranger qu'elle doit interpeller. J'ai été éditeur , il y a longtemps, j'ai été un gros acheteur, je répète qu'un lecteur peut former son libraire .Je suis content que vous appréciez le travail dans les soutes. Je prends la liberté de commenter  des pièces de théâtre ou des textes sur des blogs que vous fréquentez. Je me refuse à me limiter à dire "j'aime" "super", j'essaie d'exprimer une opinion avec les contraintes que je me suis fixées. Je peux témoigner que c'est délicat, subtil, stressant. Déjà, il faut rompre le silence qu'impose un beau texte et ce n'est pas rien, ensuite, il faut oser s'introduire dans l'univers de l'auteur qui a lui aussi besoin de quiétude, enfin , il faut faire abstraction de ses perceptions pour essayer de le comprendre ce fichu auteur et accélérer la maturation de la lecture. Je déteste les séances de dédicaces, voir des auteurs transformés en forçat de la signature. Je déteste , également, me retrouver à devoir participer à une claque laudative, à soumettre l'auteur au supplice de la question obligée. Je ne suis pas d'accord avec vous. Il est plus facile de faire l'éloge d'un livre « médiocre « que d'un « bon » livre. Pour le premier un brin de plume suffit, pour le second , il faut être capable de trouver les ressorts qui ont déconcertés et tenus en haleine. Il  faut être, déjà, une petite « pointure » et avoir un poil de talent.
Commentaire n°9 posté par patrick verroust le 02/03/2011 à 18h28
Il y a de petites fautes qui sont les bienvenues tant elles font sens. Je ne vois pas bien où nous ne sommes pas d'accord : je trouve comme vous qu'il est plus facile de faire l'éloge d'un livre médiocre (j'allais écrire "facile", ça marche aussi) que d'un bon livre. En revanche j'aime bien répondre aux questions des lecteurs, en direct, mais c'est surtout parce que je suis bavard.
Réponse de PhA le 02/03/2011 à 19h06
http://bit.ly/emlrjC
Commentaire n°10 posté par claro le 03/03/2011 à 15h20
Tiens, un écho au silence ! Merci, et tope là pour échouer mieux encore.
Réponse de PhA le 04/03/2011 à 08h28
 le professionnel chargé de rédiger la "quatrième de couverture",ne doit pas rigoler tous les jours, trouver la synthèse juste qui mette en appétit le lecteur, la renouveler ouvrage après ouvrage, est un travail aussi ingrat que de pousser le rocher de Sisyphe. Est ce décisif?.. Je choisis un livre en le feuilletant, en le humant selon l'humeur du moment. Quand j'offre un livre, c'est l'occasion de penser au destinataire, d'imaginer ses goûts, ses appétences du moment. Les bandeaux , j'y prête au attention pour ne pas les déchirer. Les quatrièmes de couverture me permettent une prise de contact en travers, sans plus. Il en va de même pour le spectacle vivant, je ne réserve, jamais, j'y vais comme je le sens. Je garde, jalousement, cette liberté là , je veux être disponible pour le spectacle qui m'est offert. Je ne sais pas si écrire est accepté de parler de soi mais je pense que cela relève d'une volonté de parler à l'autre et d'une certaine façon l'écouter. Nous avons été éduqués à aborder la poésie d'une façon trop désincarnée et trop admirative , aussi .C'est , peut être une raison de son manque de rayonnement. Je la conçois comme un art simple, un travail d'artisan, je vais même plus loin, je ne crois pas qu'elle soit l'apanage du seul poète. L'inquiétude diffuse que je ressens tient à la perception que j'ai qu'un livre peut se perdre et mourir, il n'y plus de stock chez les éditeurs ni de mémoire chez les libraires ; Mais, il ne faut désespérer de rien et surtout pas du désespoir.
Commentaire n°11 posté par patrick verroust  le 03/03/2011 à 18h17
Hélas, je confirme et partage votre dernière inquiétude.
Réponse de PhA le 05/03/2011 à 11h38

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