vendredi 4 février 2011

un nom pour ces rondelles

Je ne dispose pas d’un vocabulaire de gare suffisant. Sortie de mes registres habituels je manque de mots et ceux auxquels, par défaut, je recours ne me satisfont qu’à moitié. Je cherche, par exemple, une expression générique qui voudrait dire mobilier urbain, mais appliqué à la gare et en déclinant toute la typologie spécifique. Recoupant celle du mobilier urbain de la ville dans laquelle la gare est incluse et lui imposant les extensions nécessaires à l’usage ferroviaire de l’enclave. Mobilier urbain ferroviaire de l’intérieur de la gare me semble trop long pour s’imposer dans un langage courant partagé. Je me fais assez aisément comprendre quand je déclare que des bancs publics, des téléphones publics, des boîtes à lettres et des poubelles sont à la disposition des voyageurs dans les halls de la gare, mais je ne saurais rendre compte de la variété des édicules qui hérissent les quais, sans parenté aucune sur les trottoirs parisiens. Je n’en maîtrise pas le lexique ni la nomenclature, je tâtonne, mal à l’aise, avec des mots ressemblant vaguement aux choses que je veux évoquer, sans parfaitement les figurer. Des mots mal ajustés.
Donc je désignerai sous le nom de rondelles, ces disques protecteurs qui vraisemblablement s’appellent, dans leur langue de gare, autrement. Les rondelles s’empilent par cinq quand elles entourent des pieds de potences métalliques remplissant diverses fonctions et sont alors moulées dans une matière caoutchouteuse, noir/gris poussière graisseuse. Mais les rondelles s’empilent par quatre seulement quand elles perdent leur circonférence complète, se réduisent à des trois-quarts, demis, voire quarts de ronds vissés/scellés à la base de piles en béton ou dans leurs encoignures. Découpées à l’emporte pièce dans un métal peint couleur minium écaillé. Troisième type, beaucoup plus rare, la rondelle unique, modèle caoutchouc noir/gris poussière graisseuse, encerclant de massives colonnes de béton en bouts de quais. Si je comprends bien que ces rondelles protègent le mobilier urbain de la gare des heurts violents de tout ce qui roule sur les quais, je ne comprends pas pourquoi les empiler tantôt par cinq, tantôt par quatre, sans parler de la justification des solitaires.
 
Martine Sonnet, Montparnasse Monde, Le temps qu’il fait, 2011.
 
Voir et nommer, c’est un couple. Le nom permet, mieux : autorise à voir la chose qui sans lui restait invisible. Tous les ornithologues vous le diront, les mycologues aussi, ne parlons pas des entomologistes. C’est pareil pour l’Amérique et l’amour, nous disait l’autre jour Albin qui avait ouvert son Larousse à Am-. C’est pourquoi il nous a fallu, il nous faut encore des explorateurs, pour voir avant nous et malgré l’absence de nom ce que grâce à eux enfin nous verrons.
Depuis que je suis Martine Sonnet qui arpente la gare Montparnasse sur son blog puis sur publie.net et enfin au Temps qu’il fait, mon regard d’usager assez fréquent s’égare dans la gare, se heurte et rebondit régulièrement contre ces rondelles caoutchouteuses désormais dites « de Martine » ; les romans de gare décidément ne manquent pas de rebondissements.


Commentaires

Grandeur et misère des solitaires qui n'appellent rien ni personne. Quant à voir, j'en suis juste aujourd'hui à prononcer le mot.
Commentaire n°1 posté par Gilbert Pinna le 04/02/2011 à 15h15
Pour voir ces rondelles caoutchouteuses, c'est désormais facile : il suffit de cliquer sur... leur nom.
Réponse de PhA le 04/02/2011 à 15h32
Magique !... cliquer, voir, nommer , c'est tout un.
Commentaire n°2 posté par Gilbert Pinna le 04/02/2011 à 15h34
Nous sommes les dieux du numérique.
Réponse de PhA le 05/02/2011 à 15h46
En réalité, ce sont des butoirs qui permettent d'éviter ça. C'est la vie duraille.
Commentaire n°3 posté par Moons le 04/02/2011 à 15h57
Le temps change une catastrophe en jouet cassé par un enfant brutal.
Réponse de PhA le 05/02/2011 à 15h49
Merci cher Philippe, en nous y mettant tous je pense que nous arriverons à nommer toute chose qui mérite de l'être. Partageons nous équitablement la tâche : je vous laisse les oiseaux, les champignons et les insectes et je prends les rondelles.
Commentaire n°4 posté par L'employée aux écritures le 04/02/2011 à 16h20
En disciple de Linné, j'aurais bien proposé Rondella martinae, mais cela fait-il assez ferroviaire ?
Réponse de PhA le 05/02/2011 à 15h57
On laisse aussi les potamochères et les babiroussas
Commentaire n°5 posté par Moons le 04/02/2011 à 16h25
Sans oublier les hylochères.
Réponse de PhA le 05/02/2011 à 15h57
Un bouquin , une histoire, une auteure débarque dans votre vie sans crier gare. On reste sans voix, manquant de mot pour le dire. En cas de désir libidineux de sauter l'auteure, il est prudent de vérifier l' hauteur sinon plus dure sera la chute. Quand , une locomotive est "à cul" , il y a t-il des rondelles? Soyons optimiste , il vaut mieux posséder l'objet que le mot. C'est un moindre mal . De deux maux, il faut choisir le moindre!
Commentaire n°6 posté par patrick verroust le 04/02/2011 à 16h31
On ne se méfiera jamais assez des mots.
Réponse de PhA le 05/02/2011 à 15h59
Ces rondelles sont comme des soufflets entre les wagons : le caoutchouc avait des débouchés à l'époque des plantations Michelin. Martine aurait pu s'appeler Micheline.
Commentaire n°7 posté par Dominique Hasselmann le 05/02/2011 à 11h48
Celles-ci restent en gare.
Réponse de PhA le 05/02/2011 à 16h07

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire