Planté
seul au milieu du trottoir, un petit garçon hurle et réclame sa mère.
Quelqu’un s’approche. Un membre de la
famille ? Un passant ? Il caresse la tête de l’enfant, se penche,
lui parle, parvient à le calmer. A l’incidence, sa mère ne peut pas être
très loin et, selon toute vraisemblance, elle
cherche aussi son fils. Mais une idée folle surgit dans l’esprit du
témoin : et si la terreur du petit garçon était justifiée ? Et si sa
mère ne devait plus reparaître ?
Les
hurlements et les larmes ont cessé. Le visage de l’enfant n’en reste
pas moins ravagé : traits figés, regard fixe, yeux
rougis, petits hoquets. L’enfant approuve d’un mouvement de tête
tout ce qu’on lui dit mais sans se laisser distraire pour autant : les
mots ne sont que de petites bulles. En dépit de leur
sens, ils ne disent vraiment que l’absence. On répète à l’enfant que
sa mère va revenir, mais il n’a que faire d’une promesse. Ce qu’il
veut, c’est sa mère. Malgré tous les réconforts, la terreur
de l’enfant s’incruste. Plus l’adulte fait d’efforts pour
convaincre, plus l’enfant lutte contre de nouvelles larmes. Faut-il
demander à l’adulte de se taire ? Ne comprend-il pas que sa
douceur ne fait que donner la mesure de la perte et l’entériner ?
Marcel Cohen, Faits, III Suite et fin, XXX, p. 97-98, Gallimard, 2010.
Ce trentième ci-dessus est bref mais si l’on faisait une moyenne, les textes qui constituent ce dernier tome des Faits
de Marcel Cohen sont plutôt plus longs que les précédents. Ou plutôt :
certains sont
plus longs, ce qui donne à l’auteur la possibilité de montrer
comment, d’un instant à l’autre, quelque chose d’essentiel se passe
juste dans l’esprit, comme un nuage passe devant le soleil,
quelque chose comme une prise de conscience, pas nécessairement
définitive, à la vue d’un reflet dans une toile d’araignée, d’une rue où
l’on ne voit les immeubles que par derrière, d’une femme
par la fenêtre de sa cuisine, alors que l’esprit devrait être requis
par d’autres sujets. Aventure intérieure et minuscule, au sens où pour
un peu elle échapperait à l’attention. C’est pour ça
sans doute qu’il faut pour la dire cette écriture qui ne cherche pas
l’effet, sans fiction ni personnages autres que quelques personnes
réelles comme l’anecdote racontée (dont témoignent les
notes en fin d’ouvrage), ou ce même « un homme » anonyme que dans
les Faits précédents, dont il n’est pas du tout sûr que ce soit toujours le même, peu importe, c’est ce qui
parvient à être dit qui importe.
Un article de Patrick
Kéchichian.
- n'y peut rien.