Ça y est, j’ai enfin lu le dernier roman de Thierry Beinstingel, Retour aux mots sauvages ; l’histoire d’un homme qu’on défait de
son identité et qui tente de s’en reconstruire une. N’est-ce pas le sujet ? Le sujet,
n’est-ce pas aussi, dans ce qu’est devenu le monde du travail
aujourd’hui, dans une
sorte de grand silence feutré, la disparition de l’humanité ? « Il
faut remettre de l’humain dans les rouages », la phrase est dite,
ressassée par des professionnels sans visage,
comme s’il suffisait de dire pour faire. L’humain, le héros anonyme de Retour aux mots sauvages,
le
pseudonymé Eric parce que c’est la règle quand le métier consiste à
répondre au téléphone, ira le chercher hors des rouages, justement ;
l’humain, ce sera lui-même, et plutôt que l’huile il
est comme un grain de sable dans le rouage de la grande entreprise
quand il décide de s’occuper vraiment du client, d’un client – « il faut
se mettre à la place du client », répète à
l’envi sa collègue Maryse, et cette phrase sincère et toute faite
sonne comme une provocation lancée à l’entreprise.
Y a-t-il à la littérature d’autres sujets
que la disparition de l’humanité – à l’autre extrémité du spectre de
mes
goûts littéraires l’expression va aussi bien à Volodine –, d’autres
sujets que la défaite de l’identité (et là je ne citerai personne) ? Si
j’insiste lourdement sur cette question rebattue
du sujet (il m’arrive même d’en faire des blagues), au fond c’est plutôt pour l’évacuer.
Retour aux mots sauvages est un livre de Thierry Beinstingel, pas besoin du nom de l’auteur sur la couverture, on n’est pas loin de CV Roman, et même aussi de Bestiaire domestique,
et je l’aime à la même hauteur. Haute, la hauteur, si ça n’est pas dit
assez clairement. Le livre a eu du
succès, il a même fait partie de la sélection du Goncourt,
réjouissons-nous. Que penser du fait que le précédent, par exemple, ait
eu à l’évidence beaucoup moins d’échos ? Une affaire de
circonstances, entre temps l’entreprise en question a fait
tristement la une des journaux, on ne parlait plus que de ça, de la mort
de ses employés plus que de leur vie. Alors bien sûr ça aussi
c’est un sujet, celui dont les journaux s’emparent, et la
critique littéraire c’est aussi du journalisme. Il ne faudrait que ce ne
soit que ça : oui, Retour aux mots
sauvages est un livre fort, il y en a eu d’autres avant, il y en aura d’autres après, « du même auteur » comme on dit.
"Quand dire, c'est faire", j'ai dû le lire. Un classique il me semble. C'est une névrose connue, qui tend à se répandre en effet dans la classe politique de façon démentielle...
(A une époque j'ai eu une passion fugace pour la pragmatique linguistique. Il m'en reste quelques traces.)