Après
ta mort, le masque bougeait encore. Ton corps crevé, pourrissant vert,
omnia foetida, dans
un réduit du Quirinal, veillé par les rats et deux bougies de
graisse, les pieds plats, dépouillé jusqu’à la chemise, ton corps
masquait encore mon pouvoir, les trente voyages en litière que je
fis entre le Vatican et mon palais place Navonne, les papiers que je
pris, que je camouflai, le liquide qui devait encore couler et passer
le Tibre jusqu’à mon lit, coula.
J’ai partagé ton enclos puant, je t’ai maintenu aux yeux du monde, maintenu vivant, trois jours de long, je t’ai
tenu devant ma face à bout de bras par ma force, ma force seule, ma seule force, par ma force.
Je t’ai soutenu Didi, alors que tes traits s’effondraient dans ta chair. Quelle épouse, quel amant, quelle mère,
quel maître, quelle putain pourrait en dire autant ? Quel amour ?
Que la louve du Capitole tombe en mélasse sur les deux homoncules du fondement de Rome si je mens ! Rien en
toi n’aurait été grand sans mon pouvoir, pas même ton nez.
Céline Minard, Olimpia, Denoël, 2010, p. 28-29
Olimpia Maidalchini naquit à Viterbe le 26 mai 1592 – ou selon
une tradition moins sûre puisqu’elle en fut la source, le 26 mai 1594 – de Sforza et Vittoria Gualtieri.
Son
père fut un administrateur borné aux ordres d’un Gualtieri plus
chanceux, et sa mère un tendron rose et blanc
auquel ne manquait ni la cour ni la pourpre de Rome qu’elle situait
aux confins du monde vivant. Leur société tenait dans trois rues et
quelques relations en rapport à leur envergure, dont la
plus influente était monsieur le curé et secondement le cousin
Giulio qui portait les gants le dimanche. De pauvre culture et de
médiocres moyens, les Gualtieri n’en connaissaient pas moins les
usages, ils placèrent leur fille au couvent San Domenico quand elle
eut passé sept ans. Elle y fut grossièrement alphabétisée sous la double
férule des sœurs Orsola et Margherita Vittoria, et
soit d’instinct soit pour avoir observé certaines contradictions
entre la règle et son application, elle en conserva une grande méfiance
pour les choses écrites. Cette instruction la dota des
connaissances lacunaires propres à la noblesse du temps et de la
faculté de se mouvoir avec grâce parmi les habits ecclésiastiques. La
piquante désinvolture dont elle fit montre aux pâques de
1604 révolutionna Viterbe et lui valut deux jours de sermon. C’était
son premier succès public et l’ivresse jalouse qu’elle vit dans les
yeux des sœurs décida de sa vocation. Elle deviendrait
sainte à Rome, pêcheuse d’hommes comme Simon, elle multiplierait les
pains dorés et tous la suivraient, la servant comme une reine.
Cinquante-trois ans plus tard, au seuil de mourir dans un
palais déserté, elle se rappellerait ce vœu avec le contentement des
esprits dont le destin s’est accompli.
Céline
Minard, Olimpia, Denoël, 2010, p. 67-68
Décidément, j’aime les voix de Céline Minard. (Il paraît même que l’une de ses voix s’appellera Nathalie Richard le
vendredi 19 février, lis-je ici.)
Commentaires
Une fort belle voix ici en effet, pour les autres Albin àctheurci vous croit sur parole.
Commentaire n°1
posté par
albin
le 08/02/2010 à 11h45
Si si, écoutez bien : elle en a deux ici, et une autre encore sous
"Décidément" (sans parler de celles que je n'ai pas encore écoutées).
Réponse de
PhA
le 08/02/2010 à 11h48
Il est rare de voir une photo d'Olivier Roller qui ne soit pas un gros
plan. Il est sans doute rare aussi de lire une "voix" aussi singulière
que ce que vous nous en dites.
Commentaire n°2
posté par
Dominique Hasselmann
le 09/02/2010 à 08h57
Il y a deux autres photos sous le lien "Olivier Roller" ; j'ai
longtemps hésité : non contente de ses belles voix (avez-vous lu Bastard Battle ? c'était déjà à tout casser), c'est aussi un beau sujet.
Réponse de
PhA
le 09/02/2010 à 09h16
Non, jamais rien lu d'elle... mais vous y invitez !
Commentaire n°3
posté par
Dominique Hasselmann
le 09/02/2010 à 09h22
Bastard Battle, Le dernier monde, et maintenant ce
bouquin aussi puissant qu'improbable : oui, Céline Minard est vraiment
une grande... Et Bastard Battle si possible le lire dans
la version noire, petit livre aux inventions typo époustouflantes.
Commentaire n°4
posté par
petite racine
le 09/02/2010 à 09h59
Veinarde ! Moi je l'ai lu dans la version tout public. Mais j'ai la Manadologie qui m'attend sur ma table de nuit.
Réponse de
PhA
le 09/02/2010 à 10h37
"J’ai partagé ton enclos puant, je t’ai maintenu aux yeux du monde, maintenu vivant, trois jours de long
", j'ai lu : "...trois jours de blog..." . Je sens que je m'égare...
Commentaire n°5
posté par
Gilbert Pinna, le blog graphique
le 10/02/2010 à 16h16
Attention au surblogage !
Réponse de
PhA
le 10/02/2010 à 17h23