Riant
se leva Romain. Il conta (l’ombre désigne). L’été ramena 740 793. Le
nom des êtres englués pendait de 31 768 : le bleu nitré du nom de ce
vent par la
nuée.
L’orateur
était programmé sur le mode de la lune. Il ferait paître chaque nuit un
nom d’être bleu par l’âne
édenté. 32768, ce récit ; l’ombre après seize rations. La
dix-septième ferait dire 65536 lettres, et vivrait plus que le roi le
plus grand.
(Il rive une mule et sa malle. 22 !)
Oui : je m’amuse à faire des avions. Le second explique le premier, et s’explique lui-même par la même
occasion, mais je vais quand même essayer, une fois n’est pas coutume, d’être plus clair.
C’est chez Frédéric Forte que j’ai appris à faire des avions. (Frédéric Forte est un poète et un blogueur qui achète exactement les mêmes livres que moi. Tenez, voyez plutôt.) Il
en pilote lui-même, des avions, comme je disais ; mais l’ingénieur-concepteur, c’est Michelle Grangaud. Pour les paresseux du clic, l’avion, abréviation d’abréviation, est un moyen de raccourcir les distances entre le départ et l’arrivée d’un texte en en supprimant certaines lettres tout en
conservant l’ordre des lettres restantes. Oulipo, par exemple, serait un avion d’Ouvroir de Littérature Potentielle (pour ceux ne suivent pas) – si le mot toutefois avait
préexisté à la chose.
Je vous donne à lire les originaux des deux avions ci-dessus. J’ai pris quelques libertés avec les accents et la
ponctuation ; pour le reste, ça vole tout seul. Je vous mets de la couleur pour plus de clarté (et pour faire joli) :
Escrivant se leva à trois heures du matin.
Il consulta le nombre des
signes. Il avait été ramené à
740793. Le nombre des lettres englouties pendant la nuit était de 31768 : le double, à l’unité près, du nombre
de celles qui avaient disparu la nuit précédente.
Escrivant crut comprendre : l’ordinateur était programmé sur le modèle
de l’apologue indien. Il ferait disparaître chaque nuit un nombre de lettres
double de celui qui avait disparu la nuit précédente. 32768, c’était
précisément le nombre atteint après
seize opérations. La dix-septième ferait disparaître 65536
lettres, et la vingt et unième en avalerait 1048576 : plus
que le roman n’en aurait jamais atteint dans les projets les plus grandioses d’Escrivant.
(Michel Arrivé, Un bel immeuble, éditions Champ Vallon, 2010, pages 202 et 204.)
Ceux qui suivent se souviennent que j’ai déjà évoqué ce roman, dont j’ai d’ailleurs omis de préciser qu’il avait été plagié par
anticipation par Georges Perec (entre autres) dans la Vie mode d’emploi. Ce choix évidemment ne doit rien au hasard : nul doute que le virus qui frappe l’orateur,
pardon, l’ordinateur de Joël Escrivant et détruit sans pitié son roman est arrivé par avion. Je ne crois pas trahir Joël Escrivant ni Michel Arrivé en livrant ici ces deux extraits
d’Un bel immeuble odieusement rétrécis par le virus avionneur. Le thème en effet est récurrent – et profond – chez Michel Arrivé : sa Très vieille petite fille déjà se voyait contrainte de « désécrire » ses mémoires pour pouvoir, croyait-elle,
augmenter son espérance de vie.
Je
n’ai pas non plus besoin de m’interroger très longuement pour me rendre
compte qu’en me livrant à ces modestes réductions de te(x)tes – surtout
sur les textes d’un
autre –, je ne fais moi-même qu’obéir à mon propre souverain
(oui, parfois, pour être sûr de comprendre, il faut cliquer). Nul
doute que nos écrans, à Michel Arrivé comme à moi-même, ne
remplacent (avantageusement espérons-le) les divans dont
personnellement, jusqu’à présent je me dispense.
L’avion en tout cas me paraît, c’est heureux, parfaitement dans l’air du temps ; d’ailleurs je ne suis
pas seul à le prendre.
En effet, il n’y s’agit pas moins que de recycler des lettres ayant
déjà servi, à une
époque où le recyclage – des ordures comme des personnes – est plus
que jamais à l’ordre du jour. Quant à la compression de l’écrit vers
laquelle il tend, elle me paraît parfaitement aller dans
le même sens : dans ma bibliothèque les livres sont en double
épaisseur, mon disque dur est saturé et ma planète est surpeuplée. Et je
ne vous parle pas des rayons des librairies. Si je ne
publie pas davantage, c’est juste pour que vous puissiez passer avec
votre caddy. Tous les auteurs, hélas, n’ont pas la même délicatesse.
J’en avionnerais bien quelques-uns, tiens. En revanche,
je vous l’assure, Un bel immeuble vaut bien mieux qu’Une mule.
Le rayon livres des Leclerc, Carrefour et autre Auchan, non merci.
Vous avez dit Oulipo? Euh, heureusement que vous avez mis en couleurs hein! Déjà qu'avec le fond noir;o) faut des yeux de chat(te)!
(bon, en prenant du temps, j'y arrive)
Alors... nous avions avion...
Mais qu'on prenne garde au sort des lettres rouges: elles pourraient peu à peu disparaître, sans forcément faire naître de nouveaux avions d'avions…
(Les avions sont de moi, et je n'ai pas encore mon brevet de pilote.)
(j'aime beaucoup la peinture abstraite;o) mais pour l'écriture j'ai besoin de concrétiser)
(Entre nous, il vaut mieux lire l'original.)
En tout cas, maintenant, quand quelqu'un vous dira "J'ai lu ce livre en avion", vous saurez à quoi vous en tenir.
(je lis tellement de chose en ce moment et je viens de commencer "treize mille jours moins un"...)
Décidément ces exercices me mettent mal à l'aise. Pourtant Perec, Espèce d'espace, et le reste... Ah les vieux!
Sérieusement, ce n'est pas l'exercice qui vaut mais ce qu'on en fait. Pour ma part, comme je le disais, je n'ai fait qu'"obéir à mon souverain", et ce Seul à voir-là dit bien combien je préfèrerais écrire plutôt que de désécrire les textes d'un autre. Mais dans notre monde moderne, je trouve que ça fait sens. C'est que je suis un auteur engagé, moi ; une sorte de prophète politique. Non ?
(tout pareil que vous Depluloin mais je n'osais pas le dire;o))
Mais :
AN(nouvel)nocque
AnNOC (at the Heaven's Gate)que
AnnocQUE (de comète)...
ce n'est pas mal non plus !
Ayant découvert récemment la pratique de l'avion, qui correspond joliment à une injonction royale évoquée en Seul à voir (pour tout comprendre il faut cliquer), j'ai repensé à ce roman, pour des raisons évidentes liées à l'un de ses sujets, afin de m'initier au pilotage, sans grand succès il est vrai. (Il est vrai aussi que Michel Arrivé aurait quand même pu prévoir que je m'amuserais à faire des avions avec son roman !)
(Bon, c'est bien parce que tu as de la fièvre que je t'explique tout ça.)
(C'est peut-être quand François a la fièvre qu'il est le plus rassurant.)