jeudi 18 février 2010

des avions dans l’air du temps

Riant se leva Romain. Il conta (l’ombre désigne). L’été ramena 740 793. Le nom des êtres englués pendait de 31 768 : le bleu nitré du nom de ce vent par la nuée.
 
L’orateur était programmé sur le mode de la lune. Il ferait paître chaque nuit un nom d’être bleu par l’âne édenté. 32768, ce récit ; l’ombre après seize rations. La dix-septième ferait dire 65536 lettres, et vivrait plus que le roi le plus grand.
 
(Il rive une mule et sa malle. 22 !)
 
Oui : je m’amuse à faire des avions. Le second explique le premier, et s’explique lui-même par la même occasion, mais je vais quand même essayer, une fois n’est pas coutume, d’être plus clair.
C’est chez Frédéric Forte que j’ai appris à faire des avions. (Frédéric Forte est un poète et un blogueur qui achète exactement les mêmes livres que moi. Tenez, voyez plutôt.) Il en pilote lui-même, des avions, comme je disais ; mais l’ingénieur-concepteur, c’est Michelle Grangaud. Pour les paresseux du clic, l’avion, abréviation d’abréviation, est un moyen de raccourcir les distances entre le départ et l’arrivée d’un texte en en supprimant certaines lettres tout en conservant l’ordre des lettres restantes. Oulipo, par exemple, serait un avion d’Ouvroir de Littérature Potentielle (pour ceux ne suivent pas) – si le mot toutefois avait préexisté à la chose.
Je vous donne à lire les originaux des deux avions ci-dessus. J’ai pris quelques libertés avec les accents et la ponctuation ; pour le reste, ça vole tout seul. Je vous mets de la couleur pour plus de clarté (et pour faire joli) :
 
Escrivant se leva à trois heures du matin. Il consulta le nombre des signes. Il avait été ramené à 740793. Le nombre des lettres englouties pendant la nuit était de 31768 : le double, à l’unité ps, du nombre de celles qui avaient disparu la nuit précédente.
 
 
Escrivant crut comprendre : l’ordinateur était programmé sur le modèle de l’apologue indien. Il ferait disparaître chaque nuit un nombre de lettres double de celui qui avait disparu la nuit précédente. 32768, c’était précisément le nombre atteint après seize opérations. La dix-septième ferait disparaître 65536 lettres, et la vingt et unième en avalerait 1048576 : plus que le roman n’en aurait jamais atteint dans les projets les plus grandioses d’Escrivant.
 
(Michel Arrivé, Un bel immeuble, éditions Champ Vallon, 2010, pages 202 et 204.)
 
Ceux qui suivent se souviennent que j’ai déjà évoqué ce roman, dont j’ai d’ailleurs omis de préciser qu’il avait été plagié par anticipation par Georges Perec (entre autres) dans la Vie mode d’emploi. Ce choix évidemment ne doit rien au hasard : nul doute que le virus qui frappe l’orateur, pardon, l’ordinateur de Joël Escrivant et détruit sans pitié son roman est arrivé par avion. Je ne crois pas trahir Joël Escrivant ni Michel Arrivé en livrant ici ces deux extraits d’Un bel immeuble odieusement rétrécis par le virus avionneur. Le thème en effet est récurrent – et profond – chez Michel Arrivé : sa Très vieille petite fille déjà se voyait contrainte de « désécrire » ses mémoires pour pouvoir, croyait-elle, augmenter son espérance de vie.
Je n’ai pas non plus besoin de m’interroger très longuement pour me rendre compte qu’en me livrant à ces modestes réductions de te(x)tes – surtout sur les textes d’un autre –, je ne fais moi-même qu’obéir à mon propre souverain (oui, parfois, pour être sûr de comprendre, il faut cliquer). Nul doute que nos écrans, à Michel Arrivé comme à moi-même, ne remplacent (avantageusement espérons-le) les divans dont personnellement, jusqu’à présent je me dispense.
L’avion en tout cas me paraît, c’est heureux, parfaitement dans l’air du temps ; d’ailleurs je ne suis pas seul à le prendre. En effet, il n’y s’agit pas moins que de recycler des lettres ayant déjà servi, à une époque où le recyclage – des ordures comme des personnes – est plus que jamais à l’ordre du jour. Quant à la compression de l’écrit vers laquelle il tend, elle me paraît parfaitement aller dans le même sens : dans ma bibliothèque les livres sont en double épaisseur, mon disque dur est saturé et ma planète est surpeuplée. Et je ne vous parle pas des rayons des librairies. Si je ne publie pas davantage, c’est juste pour que vous puissiez passer avec votre caddy. Tous les auteurs, hélas, n’ont pas la même délicatesse. J’en avionnerais bien quelques-uns, tiens. En revanche, je vous l’assure, Un bel immeuble vaut bien mieux qu’Une mule.


Commentaires

Il n'est pas né le jour où je prendrai un caddy pour acheter un (des) livre(s)!
Le rayon livres des Leclerc, Carrefour et autre Auchan, non merci.
Vous avez dit Oulipo? Euh, heureusement que vous avez mis en couleurs hein! Déjà qu'avec le fond noir;o) faut des yeux de chat(te)!
(bon, en prenant du temps, j'y arrive)
Commentaire n°1 posté par Ambre le 18/02/2010 à 13h52
Je n'ai mis en rouge que les avions furtifs, qu'on peut lire clairement en tête du billet. Les daltoniens protanopes, eux, ne peuvent lire dans ces textes bicolores que les deux courts extraits du dernier roman de Michel Arrivé - que je vous recommande, d'ailleurs.
Réponse de PhA le 18/02/2010 à 15h37
Je vais comprendre, je dois comprendre, je ne comprends pas, essayer, essayer encore.. (Sans blague, je dois m'y reprendre à X fois...)
Alors... nous avions avion...
Commentaire n°2 posté par Depluloin le 18/02/2010 à 14h47
Ben tiens ! J'espère bien que vous allez comprendre ! Manquerait plus que ça !
Réponse de PhA le 18/02/2010 à 15h38
Joël Escrivant, retiré des voitures, s'est profondément réjoui de lire les avions miraculeusement surgis du Bel immeuble :  il en croyait acquise la totale disparition.
Mais qu'on prenne garde au sort des lettres rouges: elles pourraient peu à peu disparaître, sans forcément faire naître de nouveaux avions d'avions…
Commentaire n°3 posté par Joël Escrivant le 18/02/2010 à 17h59
Un avion d'avion, ce serait du vin, et l'occasion de trinquer (que je ne rate jamais) !
Réponse de PhA le 18/02/2010 à 18h35
Je pense, grosso-modo, avoir compris et me trouve fort marri quant au résultat... je préfère lire un livre avec toutes ses lettres si c'est pour en arriver là... je suis désolée, je ne suis pas convaincue... j'aurais aimé partager l'enthousiasme mais non.
Commentaire n°4 posté par Pascale le 18/02/2010 à 18h11
Alors lis plutôt le Bel immeuble de Michel Arrivé : il n'y manque pas une lettre !
(Les avions sont de moi, et je n'ai pas encore mon brevet de pilote.)
Réponse de PhA le 18/02/2010 à 18h32
Nom d'une pipe, j'y suis arrivée à tout lire en oulipo mais çà veut dire quoi exactement "il rive une mule et sa malle".
(j'aime beaucoup la peinture abstraite;o) mais pour l'écriture j'ai besoin de concrétiser)
Commentaire n°5 posté par Ambre le 18/02/2010 à 20h45
J'imagine qu'il attelle sa mule et attache sa malle sur la bête rétive. Garez-vous !
(Entre nous, il vaut mieux lire l'original.)
En tout cas, maintenant, quand quelqu'un vous dira "J'ai lu ce livre en avion", vous saurez à quoi vous en tenir.
Réponse de PhA le 18/02/2010 à 20h55
Oui... en avion, à côté du hublot, évidemment.
(je lis tellement de chose en ce moment et je viens de commencer "treize mille jours moins un"...) 
Commentaire n°6 posté par Ambre le 18/02/2010 à 21h37
Excellente lecture ! (à ne pas lire en avion toutefois, vous risqueriez d'en faire du riz mou).
Réponse de PhA le 19/02/2010 à 08h23
Je ne supporte pas l'avion depuis une trentaine d'année. Je prenais le train jusqu'à l'apparition des TGV.
Décidément ces exercices me mettent mal à l'aise. Pourtant Perec, Espèce d'espace, et le reste... Ah les vieux!
Commentaire n°7 posté par Depluloin le 19/02/2010 à 10h45
Ah, Monsieur n'aime pas faire de l'exercice...
Sérieusement, ce n'est pas l'exercice qui vaut mais ce qu'on en fait. Pour ma part, comme je le disais, je n'ai fait qu'"obéir à mon souverain", et ce Seul à voir-là dit bien combien je préfèrerais écrire plutôt que de désécrire les textes d'un autre. Mais dans notre monde moderne, je trouve que ça fait sens. C'est que je suis un auteur engagé, moi ; une sorte de prophète politique. Non ?
Réponse de PhA le 19/02/2010 à 13h22
"Décidément ces exercices me mettent mal à l'aise. Pourtant Perec, Espèce d'espace, et le reste... Ah les vieux!"
(tout pareil que vous Depluloin mais je n'osais pas le dire;o))
Commentaire n°8 posté par Ambre le 19/02/2010 à 11h16
Bis repetita.
Réponse de PhA le 19/02/2010 à 13h24
Et Joel Escrivant en cocotte en papier, vous seriez cap de le faire? Car l'origami est une science exacte de la litterature, comme nous le montre quotidiennement Juliette Mezenc
Commentaire n°9 posté par petite racine le 19/02/2010 à 15h05
Ah, les cocottes, pas mon fort ! D'ailleurs je n'ai même jamais été fichu de faire un avion en papier qui vole bien. Je connais le beau blog de Juliette Mezenc mais je n'y pas encore lu d'explications pratiques pour réussir les avions en papier.
Réponse de PhA le 19/02/2010 à 19h04
Escrivant, Arrivé, que de beaux noms..., nom de nom !

Mais :

AN(nouvel)nocque

AnNOC (at the Heaven's Gate)que

AnnocQUE (de comète)...

ce n'est pas mal non plus !
Commentaire n°10 posté par Dominique Hasselmann le 19/02/2010 à 16h05
"Annocque", vous trouvez ? Quand mon père s'est présenté à ma mère, la première chose qu'elle a pensé, c'est "quel drôle de nom !" Et c'est exactement par ces mots que commençait le premier article que j'ai eu dans les Inrockuptibles. (Mais de toutes façons, j'ai toujours eu un problème avec les noms.)
Réponse de PhA le 19/02/2010 à 19h01
Je n'ai absolument rien compris : (
Commentaire n°11 posté par François Matton le 19/02/2010 à 17h33
Alors, voilà. Michel Arrivé est l'auteur d'un très chouette roman dans lequel Joël Escrivant est l'auteur d'un non moins chouette roman évoquant la vie des habitants d'un bel immeuble. Malheureusement pour notre auteur bien nommé, son roman se voit petit à petit détruit par un problème informatique de son traitement de texte qui efface chaque jour un nombre croissant de lettres. (Ce n'est d'ailleurs là qu'un aspect du roman, sur lequel il y aurait bien plus à dire.)
Ayant découvert récemment la pratique de l'avion, qui correspond joliment à une injonction royale évoquée en Seul à voir (pour tout comprendre il faut cliquer), j'ai repensé à ce roman, pour des raisons évidentes liées à l'un de ses sujets, afin de m'initier au pilotage, sans grand succès il est vrai. (Il est vrai aussi que Michel Arrivé aurait quand même pu prévoir que je m'amuserais à faire des avions avec son roman !)
(Bon, c'est bien parce que tu as de la fièvre que je t'explique tout ça.)
Réponse de PhA le 19/02/2010 à 18h57
Rien n'est perdu, Philippe : j'ai mon Bel Immeuble et je sens que je vais me régaler! (Pourquoi François Matton me rassure toujours?! ^^)
Commentaire n°12 posté par Depluloin le 19/02/2010 à 19h11
Bon appétit !
(C'est peut-être quand François a la fièvre qu'il est le plus rassurant.)
Réponse de PhA le 19/02/2010 à 20h30
Oh, merci Philippe pour ces explications. Je n'aurais jamais pensé que ... bon, quoi qu'il en soit, merci !
Commentaire n°13 posté par François Matton le 19/02/2010 à 21h54
ça va mieux ?
Réponse de PhA le 19/02/2010 à 22h11
"si toutefois le mot avait préexister à la chose" - rêve d'écrivain! quel tête aurait (ferait) le monde alors!
Commentaire n°14 posté par Aléna le 21/02/2010 à 22h23
Si le mot avait préexisté à la chose, on l'aurait appelé le verbe.
Réponse de PhA le 21/02/2010 à 23h04

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