dimanche 9 août 2009

un dormeur de service

La présence d’un dormeur dans une salle de cinéma donne au film une force et une fraîcheur nouvelles. Comme si l’endormi assumait à lui seul la masse d’inat­tention dont les spectateurs sont capables, et les en libérait. Comme s’il restituait à l’intérêt qu’on porte à l’image toute sa gratuité et sa souveraineté. Son ronfle­ment apparaît comme un certificat d’intensité de bien des scènes qui autrement pâtiraient de l’effort collectif et trop égal des spectateurs. Il a la même vertu que la prière des ermites, qui s’abstiennent de participer au cours du monde pour mieux en conjurer le mal.
La catharsis des dormeurs s’applique à n’importe quel spectacle, pourvu qu’ils y trouvent où s’asseoir, les vertèbres bien soutenues. Cela ne pose aucun problème face au téléviseur, mais manque cruellement aux concerts techno.
Dans la vie quotidienne, un dormeur de service favorise une communication claire et une réception sereine. Il devrait accompagner les instants de haute vigilance, les coups de fil qui décident d’une carrière, les négo­ciations de la dernière chance.
Dans ce procédé, l’insomniaque va trop loin. Car une ville entière plongée dans le sommeil donne au solitaire éveillé un sentiment d’ivresse et de toute­-puissance qui nuit à la clarté de ses perceptions. Un seul dormeur suffit.
 
Philippe Garnier, Une petite cure de flou, PUF, 2002, p. 36-37.
 
Depuis cette salutaire petite cure de flou, Philippe Garnier a fait paraître le non moins indispensable Mon père s’est perdu au fond du couloir, et plus récemment un authentique roman, « de plage » toutefois.


 

Commentaires

Cet extrait est tout bonnement un régal. Je le note.
Vous m'emmerdez, Annocque. Vous me ruinez avec vos extraits de lecture.
Commentaire n°1 posté par Loïs de Murphy le 09/08/2009 à 18h50
Enchanté de vous emm..., chère Loïs !
Commentaire n°2 posté par PhA le 09/08/2009 à 19h47

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