Bianca la merveilleuse est une énigme pour moi. Je l’étudie avec 
obstination, avec acharnement – et avec désespoir – dans l’album de 
timbres postaux. Comment ! Cet album
    traiterait-il également de psychologie ? Naïve question ! L’album 
est un livre universel, un livre de référence qui englobe tout le savoir
 humain. Évidemment, il le cache derrière des
    allusions, sous-entendus. Il faut un certain flair, un certain 
courage du cœur et de l’esprit pour retrouver la trace de feu, l’éclair 
qui parcourt ses pages.
  
    Ce
 qu’il faut éviter dans ce domaine, c’est la mesquinerie, le pédantisme,
 le plat mot à mot. Tous les éléments
    sont reliés entre eux, tous les fils se rejoignent dans le même 
nœud. Avez-vous remarqué qu’entre les lignes de certains livres des 
hirondelles passent en foule, des versets d’hirondelles
    pointues et frémissantes ? Il faut lire dans le vol des oiseaux…
  
    Mais
 je reviens à Bianca. Quelle beauté émouvante dans ses gestes ! Chacun 
d’eux est réfléchi, déterminé
    depuis des siècles, assumé avec résignation, comme si elle-même 
connaissait d’avance le déroulement inévitable de son destin. Il arrive 
que j’essaie de la questionner des yeux – lorsque nous
    nous rencontrons face à face dans une allée du jardin –, que je 
tente de formuler ma prière. Avant que j’y sois parvenu, elle y a déjà 
répondu. Elle a répondu tristement, par un seul regard bref
    et profond.
  
    Pourquoi
 tient-elle la tête penchée ? Que regardent ses yeux attentifs et 
songeurs ? Le fond de son
    destin serait-il d’une insondable mélancolie ? Malgré tout, ne 
porte-t-elle pas sa résignation avec dignité, avec orgueil, avec la 
certitude qu’il ne peut en être autrement, et comme si la
    sagesse, en la privant de joie, l’avait rendue invulnérable, l’avait
 dotée d’une liberté supérieure, découverte tout au fond de l’obéissance
 volontaire ? C’est ce qui donne à sa soumission
    le charme du triomphe.
  
    Elle
 est assise en face de moi, à côté de sa gouvernante, elles lisent 
toutes les deux. Sa robe blanche – je ne
    l’ai jamais vue habillée d’une autre couleur -, fleur épanouie, 
s’étale sur le banc. Elle croise avec une grâce indescriptible ses 
jambes élancées à la carnation basanée. Le contact de sa chair
    doit être douloureux dans sa sainteté.
  
    Puis
 elles se lèvent toutes les deux ayant refermé leurs livres. D’un bref 
regard Bianca accepte et me retourne
    mon salut, et elle s'éloigne, légère, tout en méandres, ses jambes 
épousant mélodieusement le rythme des grands pas élastiques de la 
gouvernante.
  
    Bruno Schulz, Le printemps, XX.
  
 
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire