mardi 16 mai 2023

« Livres » de Jaffeux

Je viens de terminer la lecture d’une entreprise de fascination par déplacement des mots. D’un point de vue technique, on est assez proche de la lettre cryptée (authentique ?) de George Sand à Musset, dans laquelle, en ne lisant qu’une ligne sur deux, une lettre d’amour très chaste se transforme en une invitation très explicite (vous la trouverez facilement sur Internet si vous ne l’avez jamais lue) et dont déjà Sébastien Smirou s’était inspiré en complexifiant la contrainte dans Un temps pour s’étreindre (POL, 2011), mais c’est autre chose encore. Deux pages se font face, portant le même numéro. Sur la page de gauche, une suite ininterrompue de sentences incomplètes : la page est pleine de trous, de blancs. Sur la page de droite, des mots semblent d’abord placés au hasard ; ils sont en réalité placé au hasart. Ils sont situés aux emplacements précis correspondants aux trous de la page de gauche et, de fait, ils complètent aussi par le sens les sentences lacunaires de la page de gauche. Mais sur la page de droite, si on la lit de gauche à droit et de haut en bas comme on a appris à le faire, ce sont de nouvelles sentences, différentes, que ces mots viennent former. Les mots, les expressions de la page de droite sont communs à deux textes différents. L’œil est pris dans un constant va-et-vient qui est une sorte d’exacerbation de celui de la lecture ordinaire, qui nous est devenu naturel. L’écart, que Jaffeux écrit éc-art comme il écrit has-art le hasard avec lequel il travaille, est juste plus grand. Les sentences elle-mêmes prennent sens par la référence à leur propre lecture. Voilà. Ça s’appelle Livres, c’est hypnotique et c’est paru aux edicions Paraules.



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