vendredi 12 mai 2023

Ça manque de littérature.

Je trouve que ça manque de littérature. Le sentiment me submerge régulièrement, n’ayons pas peur des mots, il me submerge au point d’en faire un billet. Je me sentirai peut-être un peu moins submergé après.

Ça n’est pas clair du tout, j’en conviens. « Ça », déjà, n’est pas clair. Quoi ? Le monde ? Les livres ? La littérature elle-même ? Les livres que je lis ? Ceux que j’écris ? Et puis, bien sûr, vieille antienne, qu’est-ce que la littérature, comme disait l’autre (je n’aime pas tellement la sienne, d’ailleurs) ?

Je ne vais pas théoriser, je ne ferais pas un bon intellectuel. Je sens qu’il y a, qu’il y a plus ou moins, ou qu’il n’y a pas – de littérature. Je sens qu’il y a peu d’appétence autour de moi pour ce que moi, je reconnais et je désire, en littérature. Il pourrait y en avoir : le désir, ça se suscite, ça se développe, c’est peut-être pour ça que je suis professeur ; mais il y en a peu.

Il y a de plus en plus de livres, pourtant. Et même s’il y a de plus en plus de livres avec très peu de littérature dedans, il y a aussi quand même de plus en plus de livres avec de la littérature dedans (je le sais parce que j’en lis). Mais ces livres avec de la littérature dedans se vendent de moins en moins. À combien d’exemplaires se vend un livre avec beaucoup de littérature dedans ?

(J’aime bien cette expression stupide : peu ou beaucoup « de littérature dedans ». J’aime bien les expressions stupides : elles sont expressives.)

Ils se vendent très peu. Ils ne sont absolument pas rentables. On ne peut pas gagner de l’argent en vendant des livres avec beaucoup de littérature dedans. Parfois un de ces livres obtient un succès exceptionnel (forcément exceptionnel), mais c’est souvent pour de mauvaises raisons : le sujet, la personne qui l’a écrit, ou l’exception pour faire exception. Alors, si on compte en tonnes de livres plutôt qu’en titres – c’est une autre façon de compter, qui a du sens aussi – il y a vraiment peu de livres avec beaucoup de littérature dedans. Donc pas beaucoup de littérature.

D’ailleurs il n’y a pas forcément autant de littérature dans tous les livres d’un même auteur. Je le sais : il n’y a pas autant de littérature dans tous mes livres. Il y a sans doute moins de littérature dans les Singes rouges que dans Pas Liev. Pourtant j’aime autant les deux ; d’ailleurs je peux très bien aimer un livre avec peu de littérature dedans, parce qu’il n’y a pas que la littérature que j’aime. Et puis dans les Singes rouges, il y a quand même pas mal de littérature, même s’il y en a moins que dans Pas Liev. (Ne comptez toujours pas sur moi pour vous dire ce qu’est la littérature. Le fait que les Singes rouges soit autobiographique et Pas Liev pas du tout – j’espère – n’a rien à voir là-dedans.)

La quantité de littérature (je pourrais dire la densité littéraire, mais je préfère les expressions plus stupides, décidément) n’est donc pas complètement déterminante de mon amour pour un livre (que je l’aie écrit ou non ; d’ailleurs j’ai écrit tous les livres – vous aussi, sachez-le, vous avez écrit tous les livres). En revanche, elle est déterminante de sa éditabilité. Ça n’existe pas, ce mot ; forcément : ce serait un gros mot. Un livre avec beaucoup de littérature dedans est moins éditable.

À la rigueur, il reste un peu éditable si ce livre avec beaucoup de littérature dedans peut passer pour de la poésie. La poésie, c’est la littérature de la littérature, disait Michon ; j’aime bien comment c’est dit. Ça aide un peu ; d’ailleurs j’en écris aussi, plus ou moins. Mais elle n’est pas forcément clairement identifiée comme de la poésie. Par exemple, à mes yeux, mes Nouvelles notes sur les noms de la nature, tellement nouvelles qu’elles viennent juste de paraître, c’est plutôt de la poésie. Je dis « plutôt » parce que je suis un gars timoré. Le contenu est scientifique, vérifiable – le texte incite le lecteur à la vérification –, n’empêche : pour moi, c’est de la poésie, publié chez un éditeur qui n’en publie pas.

Mais quand il y a vraiment beaucoup de littérature dedans et que ce n’est pas de la poésie, hein ? On fait comment ?

Il faudrait plus de lecteurs de livres avec beaucoup de littérature dedans, voilà. Il faudrait que les éditeurs ne perdent pas trop d’argent à publier des livres avec beaucoup de littérature dedans.


Je viens de me relire. Je doute de la pertinence et de l’utilité de ce billet. C’est une bonne raison pour le poster. 



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