samedi 15 février 2020

Écrire et publier ou pas (8) (1995-2001)


Alors je m’y mets. Puisqu’il faut écrire quelque chose qui soit publié, je vais écrire quelque chose pour que ce soit publié. En y repensant, je me vois un peu comme un somnambule. En tout cas, je pense moins que d’habitude – alors que l’un des thèmes essentiels du roman est précisément l’excès de la pensée. Je prends un nouveau petit classeur, un paquet de feuilles à petits carreaux, et je commence. C’est un vrai début. D’ailleurs c’est aussi la rentrée scolaire. Septembre 1995. J’écris : « Ça y est, c’est là qu’il descend ; alors il descend. » Oui, c’est toujours l’incipit de Rien (qu’une affaire de regard). Je descends de ce promontoire où je ne pouvais plus écrire, en tout cas où je ne pouvais pas écrire « quelque chose qui soit publié », tandis qu’Herbert, oui, déjà lui, descend avec plus de simplicité du RER. Il devient cette espèce de double dégradé de moi-même, que je m’amuserai à ressortir une vingtaine d’années plus tard.
Mais au fond, même si je me suis lancé dans ce projet pour écrire« quelque chose qui soit publié », je ne crois pas un instant que ce sera publié. Alors je prends mon temps. Je continue Se voir se voir, je continue même Par temps clair, quand j’arrive à y croire encore. Et bien sûr, j’écris toujours des textes isolés. Très loin, très loin encore mais avec un peu plus de netteté, il y a l’horizon quelque chose qui deviendra Mémoires des failles.
Plus le temps passe cependant, plus je me surprends à croire au roman que j’ai entrepris « pour qu’il soit publié », et qui à cette époque s’intitule Hors, ou Dehors, je ne sais pas encore. Il y est question de rester en échec, à l’extérieur de l’essentiel, de la vie comme du sexe féminin où le tout jeune Herbert, trop plein de la pensée de lui-même, peine à pénétrer. L’écriture s’en accélère, si j’avais les dates sous les yeux je pourrais le prouver chiffre à l’appui mais zut, je n’ai pas le vieux carnet sous la main au moment où j’écris ce billet. Je ne me rends pas bien compte que je commence à contracter les défauts des auteurs contents, qui souvent sans s’en rendre compte sont tentés de s’imiter eux-mêmes. J’essaierai de corriger ça des années plus tard, quand le roman reparaîtra chez Quidam. Pour le moment, c’est l’euphorie. Vers la fin de 2000, je mets un point final au roman. Entre temps, je me suis acheté mon premier ordinateur, je ne suis pas un fondu de technologie mais il le fallait, pour taper tout ça sur traitement de texte.
La même voix extérieure qui m’avait fait prendre conscience de la nécessité de la publication résonne de nouveau, après lecture du manuscrit : « C’est très bon, ce sera pris tout de suite. » Je n’y crois pas une seconde. Qu’est-ce qu’elle y connaît de plus que moi ? Je tarde à envoyer le manuscrit. Enfin, poussé dans le dos, je l’envoie par la poste chez Gallimard, au Seuil, chez Grasset, et chez Minuit bien sûr. Je ne connais rien du tout à l’édition. D’ailleurs je n’ai jamais lu un auteur contemporain, depuis que Beckett est mort. Je ne lis plus rien du tout depuis des lustres. Je reçois quatre refus impersonnels mais le Seuil le prend tout de suite, inquiet de se manifester trop tard, un texte pareil ne peut pas laisser indifférent. Sans blague. En fait c’est tout con de se faire publier par un gros éditeur. Il suffit de le vouloir.



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