mercredi 19 février 2020

Écrire et publier ou pas (11) (printemps été 2001)


Le Seuil m’envoie une photographe à domicile. Les photos pourront servir pour la presse, et pour la quatrième de couverture. Elles serviront aussi pour le bandeau. J’emploie le pluriel parce que je crois qu’il y en a deux qui ont servi, alors qu’on y a passé tout une après-midi. Dans le parc de Rambouillet, notamment. On a beau être au mois de mai, il fait un froid de canard. Non mais il neige, carrément ! Est-ce pour ça que je ressemble tellement à Gérard Jugnot ?
Ça y est, le livre est imprimé. Ça doit faire quelque chose, d’avoir son livre imprimé entre les mains. Je ne m’en souviens pas. Je crois que ça m’a juste fait m’étonner de ne pas ressentir grand-chose. C’est juste un objet, il n’est même pas encore en librairie.
Je suis convié à venir dédicacer les exemplaires envoyés en service de presse. Les SP, quoi. Ça ne se passe pas au 27 rue Jacob mais dans un autre immeuble un peu plus loin, dans une pièce au sous-sol. Les auteurs de la rentrée littéraire, ceux qui sont dans la région en tout cas, ont devant eux des piles énormes à dédicacer. J’ai la mienne. On doit être six ou sept, sur onze. Je me souviens d’une femme venue avec son lézard sur l’épaule, un gros lézard exotique. J’ai la liste des noms des dédicataires. Pour la plupart, je ne les connais pas. C’est un peu étrange, de dédicacer des bouquins à des gens qu’on ne connaît pas, qui ne sont pas là, et qui pour la plupart n’ouvriront même pas le livre. Mais ça se fait. C’est bizarre aussi de dédicacer un bouquin à Bernard Pivot. C’est encore plus bizarre d’en dédicacer à Alain Robbe-Grillet. Bien sûr à cette époque il est toujours vivant, mais si je lui en dédicaçais un maintenant, je ne pense pas que ça me paraîtrait plus bizarre. Je mets la même chose à tout le monde. C’est Bertrand Visage qui me dit quoi mettre, et où l’écrire ; je ne sais pas dédicacer. J’abats la besogne, je finis le premier.
En juin, je crois que c’est en juin, il y a un cocktail organisé sur une péniche ; quelque part vers Bercy. On y va en taxi, depuis le Seuil, avec Bertrand Visage et Régine Detambel, dont le roman paraît aussi à la rentrée. Des libraires importants ont été invités, venus de toute la France. De tous les noms de personnes qu’on me présente, je n’en retiens aucun. Je ne sais pas trop ce que je fais là, sauf qu’à un moment chaque auteur est amené à parler de son livre. Mais comment fait-on pour parler de son livre à des gens qui ne l’ont pas lu ? Quand les gens l’ont lu, c’est facile. C’est même agréable, même s’ils ne l’ont pas aimé. Mais quand ils ne l’ont pas lu, et qu’il faut leur donner l’envie de le vendre ? Face à eux, je réponds aux questions de mon éditeur d’une voix monocorde que je ne reconnais pas, qui n’est pas la mienne lorsque je parle en public, encore maintenant. C’est idiot, mais la timidité de l’auteur est un handicap. C’est idiot parce que c’est le livre, qu’il faut vendre, pas l’auteur. Oui mais non. On vend les deux. C’est comme ça. Le repas est bon, la promenade est belle. Je m’échappe un moment dans les jardins de Bercy.
L’été, il ne se passe rien. J’ai acheté un téléphone portable, quand même. (J’ai oublié de dire que le fichier de texte pour mon roman, je l’ai envoyé sur disquette !) A Concarneau, je reçois un appel de « mon » attachée de presse. Pour une enquête du Figaro, il faudrait que je nomme deux ou trois de mes auteurs contemporains préférés. Voilà ce que c’est de ne plus lire depuis presque dix ans. Heureusement Julien Gracq n’est pas mort. Et je cite Edmond Baudouin, aussi. Bien sûr c’est un auteur de BD, et alors ? Il est vraiment vivant.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire