Et puis aussi, à propos
de notre façon de nous exprimer, l'écriture inclusive.
Personnellement je suis pour tout ce qui est inclusif et mon audace
va même au-delà : je suis contre toute forme d'exclusion.
Vous me direz si je me
trompe, mais il me semble que tout part d'une bête règle de
grammaire : « Le masculin l'emporte sur le féminin. »
Je la revois écrite dans mon livre de grammaire de quelle classe ?
CE2 ? CM1 ? Ma mémoire ne va pas jusque-là mais je me
rappelle très bien l'illustration : un jeu de tir à la corde
remporté par une équipe composée d'une fille, d'un garçon, d'un
bébé et d'un chien contre toute une bande de filles. Que
reproche-t-on à cette règle ? Son machisme. Il est évident.
Il y a fort à parier qu'elle a été rédigée par un grammairien
mâle. Mais personnellement je trouve dommage qu'on s'arrête là,
car le principal défaut de cette règle, aux yeux du passionné de
la langue que je suis n'est pas qu'elle soit machiste, mais qu'elle
soit fausse.
En effet, c'est une règle
de grammaire. Or la grammaire, qu'est-ce que c'est ? C'est un
discours, souvent normatif, parfois simplement descriptif, tenu par
les hommes sur leur langue. Eh bien sûr, comme tout discours tenu
par les hommes, il peut être faux. Il l'est même toujours. Tout
grammairien sérieux vous le dira : en réalité, toute la
grammaire est fausse. La grammaire est un discours qui essaie de
rendre compte de la langue et qui ne le fait que par approximations
plus ou moins acceptables – car la réalité de la langue est trop
complexe pour être parfaitement décrite.
Les langues sont des
systèmes vivants, qui à un instant T, en synchronie comme on dit,
présentent des pleins et des creux. Des trous, si vous voulez. Par
exemple, quand il compare le système temporel de l'anglais avec
celui du français, l'élève se rend compte tout de suite que
chouette, il n'a que deux temps simples à apprendre alors qu'en
français il y en a cinq (à l'indicatif). Est-ce à dire qu'on ne
peut pas exprimer autant de subtilités temporelles en anglais qu'en
français ? Je n'irais pas l'affirmer pour autant. La langue
trouve d'autres biais.
Mais le français aussi a
des trous. Par exemple, vous avez sans doute remarqué que les
terminaisons du présent de l'indicatif sont plus courtes que celles
des autres temps simples. Pourquoi sont-elles plus courtes ?
Tout simplement parce qu'elles n'existent pas : au présent on
n'a que des terminaisons de personnes ; on n'a pas ce ai
ou ce i qui marque l'imparfait, ni ce r qui signale le
futur ; on n'a rien non plus qui marque un hypothétique
présent. Ce que, par commodité, on appelle le présent de
l'indicatif n'est tout simplement pas un temps. C'est juste de
l'indicatif atemporel, qui va nous servir, à l'occasion, aussi bien
à désigner une action présente qu'une vérité générale.
Le genre et le nombre
aussi ont des trous en français. Le pluriel est marqué par le s,
hérité de l'accusatif pluriel latin, qui s'oppose juste à une
simple absence de marque. Or cette absence de marque peut renvoyer
aussi bien à un authentique singulier qu'à un nom indénombrable
(devant lequel on emploie l'article partitif), c'est-à-dire un nom
étranger à la catégorie du nombre – ce qui n'a strictement rien
à voir avec le singulier. L'absence de s à la fin d'un
substantif en français ne signifie pas que ce nom est au singulier,
il signifie juste qu'il n'est pas au pluriel ; et cette absence
de marque, au lieu d'être appelée singulier, ce qui prête à
confusion en recouvrant deux effets de sens clairement différents,
gagnerait à être appelée non-pluriel.
Vous m'avez deviné :
c'est exactement la même chose pour le masculin. Le féminin existe,
marqué par le e, mais le masculin, en français, n'existe pas. Il
n'a pas de marque. Mais il faut un biais pour l'exprimer – alors là
encore on utilise la forme non marquée. Cette forme non marquée, je
viens de l'utiliser en écrivant « il faut un biais » :
le pronom il, qui ici ne représente rien, n'a rien de
masculin. Il n'est pas anodin qu'on emploie ce genre non marqué pour
représenter quelque chose qui n'existe pas : on est clairement
dans le neutre. Je lis parfois que le masculin a souvent valeur de
neutre en français. C'est faux. Il n'y a pas de masculin en
français, et c'est le neutre, lequel existe vraiment par l'absence
de toute marque, qui à l'occasion prend valeur de masculin parce que
le concept « masculin » existe et qu'il faut bien trouver
un biais pour l'exprimer. Mais il était difficile pour des
grammairiens mâles et tout nourris de grammaire latine (le masculin
existe en latin) d'admettre que le masculin n'existât pas en
français.
Reformulons donc la
règle, puisque évidemment l'inexistant masculin ne saurait
l'emporter sur le féminin. Voici ce que je propose :
Quand il n'y a pas
lieu de préciser le genre, on emploie en français la forme
dépourvue de marque de genre.
Ça me paraît beaucoup
plus conforme à la réalité de la langue – car la langue n'est
pas machiste, ce sont les hommes qui le sont.
Maintenant quid de
l'usage du e et de la mise au féminin de ce qui ne l'était
pas auparavant ? J'avoue que ça me paraît socialement plutôt
contre-productif. En effet la marque du féminin, comme celle du
pluriel, en s'opposant à une forme simplement non marquée,
fonctionne comme un discriminant (au sens neutre du terme). Mais
précisément, dans une société où il reste tant à faire pour
l'égalité entre les sexes, est-il bien judicieux de marquer une
différence entre un ingénieur et une ingénieure ? Je ne
trouve pas. (On me fera remarquer que pour les métiers socialement
moins considérés, la mise au féminin ne pose pas de problème :
infirmier / infirmière. Ça me paraît discutable. Dans l'imaginaire
traditionnel et phallocrate, la boulangère ne pétrit pas, elle
reste la femme du boulanger ; elle se contente de tenir la
caisse – quand elle ne va pas ronronner dans les fourrés.) Et pour
revenir enfin à ce qu'on appelle l'écriture inclusive, il me semble
que marquer la différence des sexes est nettement moins inclusif que
la suppression de toute marque de genre – à la condition que la
règle ci-dessus soit correctement expliquée et bien comprise par
tous. Mais là encore il reste du travail.
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