Il ne faudrait plus dire
« nègre », mais « prête-plume ». Il ne faut
plus dire ceci, mais plutôt cela. L'euphémisme est la figure royale
de notre époque – depuis un certain temps déjà. J'ai toujours eu
du mal avec ces euphémisations. « Non voyant » au lieu
d'« aveugle », par exemple, qui me paraît un pire pour
un mieux : non seulement aveugle mais en plus non voyant, comme
si un organe qui ne fonctionne pas pouvait empêcher toute manière
de voir – on ne me fera pas croire ça. Avec « nègre »
c'est autre chose. Évidemment, même par métaphore interposée, ce
mot est chargé d'un passé colonial et esclavagiste. Il est comme
une cicatrice sur le corps vivant de la langue. Mais la langue,
précisément, est vivante, c'est-à-dire qu'elle n'obéit pas aux
injonctions de ses dépositaires : on ne tire pas un trait sur
un mot pour le faire disparaître. « Prête-plume » n'a
que l'élégance d'un maquillage.
Je ne suis sûrement pas
objectif : j'ai des nègres – dans mes ancêtres. Et je suis
certain que, en secret, ils écrivent aussi pour moi.
Remarque : Beef
pour ox, pork pour pig, mutton pour
sheep ; tous ces
noms d'origine française désignant dans l'assiette du seigneur
normand la viande de l'animal qui, tant qu'il est vivant, garde le
nom que lui donnait son éleveur saxon, sont aussi le souvenir d'un
passé colonial. La langue est porteuse d'une mémoire qu'il nous
revient de ranimer.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire