Pour
ce coup je ne voudrois sinon entendre comm’il se peut faire que
tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations
endurent quelque fois un tyran seul, qui n’a puissance que celle
qu’ils luy donnent ; qui n’a pouvoir de leur nuire, sinon tant
qu’ils ont vouloir de l'endurer ; qui ne scauroit leur faire mal
aucun, sinon lors qu’ils aiment mieulx le souffrir que lui
contredire. Grand chose certes et toutesfois si commune qu’il s'en
faut de tant plus douloir et moins s'esbahir, voir un milion d’hommes
servir miserablement aiant le col sous le joug non pas contrains par
une plus grande force, mais aucunement (ce semble) enchantés et
charmes par le nom seul d’un, duquel ils ne doivent ni craindre la
puissance puis qu’il est seul, ny aimer les qualités, puis qu’il
est en leur endroit inhumain et sauvage. La foiblesse d’entre nous
hommes est telle, qu’il faut souvent que nous obeissions a la force ;
il est besoin de temporiser, nous ne pouvons pas tousjours estre les
plus forts. Doncques si une nation est contrainte par la force de la
guerre de servir a un, comme la cité d’Athenes aus trente tirans,
il ne se faut pas esbahir qu’elle serve, mais se plaindre de
l’accident ; ou bien plustost ne s'esbair ni ne s'en plaindre mais
porter le mal patiemment, et se reserver a l’advenir a meilleure
fortune.
Etienne de La Boétie, Le discours de la servitude volontaire
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