mardi 9 août 2011

Par le hublot (ou) La condition de l’homme marié

Parfois j’ai l’impression que Karel Čapek est l’un des lecteurs de ce blog. (Que ceux qui veulent se rafraîchir la mémoire le fassent par le hublot pour quoi ? pour rien (à lire en commençant par le bas, de préférence.)
 
« Réveille-toi ! Tu entends, réveille-toi ! »
« Que se passe-t-il ? »
« De l’eau entre dans la cabine ! »
« Mais non. »
« Mais si ! On prend l’eau par le hublot ! »
« Mmh. »
« Quoi ? »
« Rien. Je dis mmh. »
« Bon, alors, fais quelque chose, s’il te plaît ! »
« Pourquoi ? »
« Parce qu’on prend l’eau ! On va se noyer ! »
« Mmh. »
« Nom d’un chien, ne te rendors pas ! »
« Je ne dors pas. » L’homme marié s’assied et cherche à tâtons l’interrupteur. « Que se passe-t-il ? »
« De l’eau entre dans la cabine ! Par le hublot ! »
« Par le hublot ? Mmh. Eh bien, il n’y a qu’à le fermer. »
(…)
« Diable » grogne l’homme marié.
« Qu’y a-t-il ? »
« Il y a que de l’eau entre par le hublot ! »
« Mmh. »
« J’ai été aspergé. »
« Il n’y a qu’à fermer le hublot ! »
L’homme marié jure tout bas, et tente de fermer le hublot ; mais, pour serrer ces boulons-là, il faudrait une clef anglaise.
« Saperlipopette ! »
« Quoi ? »
« Je suis trempé ! »
« Pourquoi ? »
« Parce qu’on prend l’eau !
« Mais non. »
« Mais si ! Par le hublot ! »
« Mmh. »
Les vis du hublot sont enfin serrées ; à vrai dire, il a failli y laisser les doigts et est trempé comme une soupe. Vite, sous les draps, et se glisser la bouée de sauvetage sous la tête.
Un gémissement d’agonisant.
« Qu’y a-t-il ? »
« Ça tangue ! »
« Mmh. »
« Je vais avoir le mal de mer ! »
« Mais non. »
« Mais puisque je te dis que ça tangue ! »
« Mais non. »
« Ça tangue horriblement ! »
« Mmh. »
« Tu ne le sens pas ? »
« Pas du tout. » A vrai dire, ça tangue vraiment, mais une femme ne doit pas tout savoir. Et puis, c’est presque agréable ; on est soulevé à bonne hauteur, puis il y a un instant d’hésitation, le bateau grince et on redescend en planant ; et maintenant, voilà qu’on a la tête qui remonte.
« Tu ne sens toujours pas ? »
« Absolument pas. » C’est étrange de voir tout à coup ses propres pieds plus haut que sa tête ; ils prennent alors un air inhabituel.
« On ne va pas se noyer ? »
« Ne-e-ei. »
« S’il te plaît, ouvre le hublot ou je vais étouffer ! »
L’homme marié redescend de sa planche à repasser et ouvre le hublot.
 
Karel Čapek, Voyage vers le Nord, éditions du Sonneur, 2010, p. 127 à 129.
 
Mais tout cela n’empêche pas – au contraire : tout cela permet de mettre en relief le regard de Čapek sur les beautés de la côte norvégienne, notamment après le franchissement du cercle polaire arctique. Quand il n’y met pas les mots, il y met le dessin. Une belle lecture, merci à la prescriptrice (c’est comme ça qu’on dit ?).
  


Commentaires

Je l'ai repéré aussi, ce livre, pas encore acheté mais je le lirai. Tu te souviens de L'année du jardinier, lu à voix haute en duo dans une jardinerie il ya quelques années (sourire) ?
Commentaire n°1 posté par Pascale le 09/08/2011 à 21h11
Mais oui ! (Et à propos de l'autre lectrice, je viens juste de trouver chez elle un beau petit livre noir et carré.)
Réponse de PhA le 09/08/2011 à 21h14
Merci ! Je le trouve très beau itou...
Commentaire n°2 posté par Pascale le 09/08/2011 à 21h17
Prendre l'eau par le hublot comme on prend le diable par la queue.
Commentaire n°3 posté par Gilbert Pinna le 10/08/2011 à 07h39
Diable ! On ne le tire plus ?
Réponse de PhA le 11/08/2011 à 14h42
Le plagiat est évident. J'alerte mon avocat. Ou bien préférez-vous le vôtre?
Commentaire n°4 posté par Depluloin le 10/08/2011 à 11h10
Il me faudrait un avocat par anticipation.
Réponse de PhA le 11/08/2011 à 17h00

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