Non
loin de la fosse ouverte, la dalle de marbre gris foncé, chic, sobre,
gravée de son nom, Louis Vertumne, et de ses dates,
reposait sur des bastaings. C’était quelque chose, ces dates, la
seconde, surtout. De son vivant, bien sûr, il l’avait parfois estimée à
vue de nez, en se basant sur la longévité moyenne des
hommes de sa génération, et sur ses handicaps : longtemps fumeur,
imperméable à toute idéologie diététique, travailleur sédentaire, adepte
du no sport churchillien… Il ne s’était pas trompé
de beaucoup au bout du compte. L’initiative de Donovan Dubois avait
juste un peu précipité les choses… En retrait de la fosse, quelques
gerbes et couronnes. A notre confrère, ça c’était
son journal. Ils n’avaient même pas mis A notre cher confrère.
On lui rendait le peu qu’il avait donné. En travers des couronnes, sur
des bandes de taffetas violet ou bleu roi, des
souvenirs et des regrets dorés dont certains au moins, ceux des
trois muses, devaient être sincères. En tout cas il avait loupé la
cérémonie, on l’avait mis en terre sans lui, la compagnie
s’était dispersée, il se retrouvait planté tout seul devant sa tombe
comme un gosse en retard devant la grille de l’école.
Georges-Olivier Châteaureynaud, Le corps de l’autre, Grasset, 2010.
J’aime aussi voir ce qui se fait aux antipodes (les miens). C’est un peu dans cet esprit que je reviens vers les belles fictions
de Châteaureynaud (je garde un beau souvenir de son recueil de nouvelles Singe savant tabassé par deux clowns, notamment de celle intitulée Civils de plomb).
Sur un sujet pas
franchement original (mais vous savez ce que je pense des sujets)
(en l’occurrence : un vieux critique littéraire aigri se retrouve coincé
dans le corps du jeune loubard qui vient de le
poignarder), il laisse joliment se poser la question qui (ou quoi) être – laquelle, tiens, n’est pas du tout à mes antipodes ; au contraire c’est à deux pas.
Oui, c'est tout vous:)