vendredi 5 mars 2010

Sous le manteau (Inaltérable ciel, logis de nos idées)

Si vous ne me voyez pas derrière mes hublots, c’est qu’à l’occasion des vases communicants j’ai pris racine chez Cécile Portier. Mon premier Contact avec son travail, c’était bien avant mes Hublots et sa Petite Racine, quand paraissait son premier livre, dans la collection Déplacements des éditions du Seuil. Beau souvenir.
 
J’ai un très beau manteau noir. En peau, long, même très long, lourd sur les épaules, et le col, fausse fourrure, qui se rabat sur le cou quand la bise souffle, en un embrassement qui ne trompe pas : ce manteau est amoureux. Je me sais une démarche souveraine dans ce très long lourd manteau noir, je me sais mystérieuse en hiver, entourée de peaux impeccablement noires et opaques et douces. Je me vois, les autres surtout doivent voir cette silhouette, frêle et majestueuse pourtant, furtive et lente pourtant, amarrée seulement à mon propre rythme.
Protectrice du froid lui-même.
J’ai un très beau manteau noir. Il est vrai cependant qu’il est un peu lustré au bord des manches. Et qu’un bouton s’en est allé, il y a déjà quelque temps. Il est vrai aussi (pourquoi le cacher) que l’autre soir il pleuvait dru, et que je l’ai porté ainsi, sans parapluie. Or mon manteau est fait pour le froid. Sous l’eau il souffre, déteint en couleur rouge - On aurait dit du sang sur ma jupe. Aujourd’hui sa couleur est plus pâle à certains endroits, pour qui y prête attention. Et puis ces quelques pièces de monnaies enfuies par un trou de la doublure au fond gauche du manteau lui donnent un poids distinct de ce côté-là, si bien que mon manteau, peut-être, de loin, semble se déhancher, claudiquer même, pour qui a la moquerie facile. Je le remets droit alors, mais c’est toute la peau qui a joué, comme un grand corps courbatu qui compense la douleur en se tordant d’avantage : en le remontant comme cela, je le dessers, et me voilà avec une épaule haussée. Intérieurement je marche beau mais si un miroir, ou une vitrine, me surprenait à cet instant, il croirait à une disgrâce quelconque, non pas un pied bot, certainement beaucoup moins, mais quelque chose quand même, un handicap n’ayons pas peur des mots, une maladie qui rend le geste raide et gauche. Un miroir me voyant marcher à cet instant, certainement, s’apitoierait. Et cette couture lâchée dans le cuir, au niveau de la manche droite. Et cette autre encore, celle du dos, distendue elle aussi, montrant, rouge comme un vit de chien excité, le fil d’une réparation précédente un peu trop hâtive : ce n’est pas convenable. Il faudrait reprendre cela, ainsi que le trou dans la doublure de la poche gauche, et puis d’ailleurs toute la doublure est mitée depuis longtemps.
N’empêche, j’ai une très belle idée de manteau noir, qui ne vieillit pas et m’accompagne en hiver.



Commentaires

Belle idée d'un manteau de majesté pour emmitoufler nos pudeurs.
Commentaire n°1 posté par kouki le 05/03/2010 à 08h34
PhA alors !
Philippe Annocque n'est pas fez lui...
A la place il y a un vieux dégoutant qui fait rien qu'à vouloir ouvrir son manteau partout dans la rue devant les devantures de magasins !
RrrroohhhHHH!!! dirait un ami
... C'est dommage parce que le texte est bien
mais je regrette de rappeler que
à la racine des choses
le manteau de l'hivers est BLANC
et non NOIR.
ça saute aux yeux pourtant !
.
(@petite racine : Je me réjouis d'un prochain vase en ta compagnie).
Commentaire n°2 posté par L.....................................uC le 05/03/2010 à 08h49
Manteau de la nuit ou de la mer, nuit du manteau et coups de marteau en cauchemar où filent les nuages écrits...
Commentaire n°3 posté par Dominique Hasselmann le 05/03/2010 à 09h54
Bel extrait de Déplacements dans votre Beau souvenir...

(la serpillère est le dernier tissu à la mode pour s'habiller;o))
Commentaire n°4 posté par Ambre le 05/03/2010 à 12h28
Intérieurement je marche beau ... et le manteau très beau et noir qui vous couvre, vous expose, vous délivre, vous magnifie, qui vous trahit, vous démaquille, vous réchauffe, vous déshabille, ce manteau noir, décousu et percé, très beau, le voici, je le crois bien :
http://gilbertpinnalebloggraphique.over-blog.com/article-la-dame-au-sac-39821310.html
Commentaire n°5 posté par Gilbert Pinna, le blog graphique le 05/03/2010 à 16h22
"Réussir un si beau manteau sur un fille aussi mal foutue!" (d'après Fernand Reynaud) Pardon Cécile (si vous permettez) pour cette référence triviale et ô combien irrévérencieuse!! Mais ce texte m'a enchanté à ce point. Il est assez différent de ce que j'ai lu de vous, en plus. Et puis qui, un jour, ne se reconnaitra pas vêtu du même manteau ou de la même veste!!

Commentaire n°6 posté par Depluloin le 05/03/2010 à 17h44
J'ai le même à la maison ! Est ce que je me trompe, ou sentons nous aujourd'hui chez Philippe, le parfum de la dame en noir ?
Commentaire n°7 posté par Frédérique M le 05/03/2010 à 22h03
Aujourd'hui je trouve que Depluloin et Petite Racine annocquent furieusement.
Commentaire n°8 posté par Anna de Sandre le 05/03/2010 à 22h16
texte d'une tenue impeccable avec ses quelques saillies incorrectes qui sont la marque des écritures libres, la fin est le suprême de l'élégance...
Commentaire n°9 posté par florence le 05/03/2010 à 23h25
c'est fou ce que je marche beau et c'est fou de constater comment les autres ne mle savent pas
Beaucoup aimé 
Commentaire n°10 posté par brigetoun le 06/03/2010 à 00h06
Merci à tous pour vos visites. Apparemment vous n'avez rien cassé durant mon absence, c'est bien. Et merci à Cécile d'avoir veillé sur mon petit sous-marin.
Commentaire n°11 posté par PhA le 06/03/2010 à 00h07
J'ai adoré cette "idée de manteau" ! merci et bravo
Commentaire n°12 posté par Marianne Jaeglé le 06/03/2010 à 16h06
Désolée ! Moi aussi j'ai eu un peu de mal à concilier mes images mentales de Nathalie Pagès et de Fernand Reynaud. Il n'est pas toujours bon d'avoir 46 ans de souvenirs. bises
Commentaire n°13 posté par Cécile le 07/03/2010 à 15h33
46 ans de souvenirs ? Mais c'est le nombre parfait !
Réponse de PhA le 07/03/2010 à 17h44
Philippe, merci pour ce bel accueil dans ton sous marin insubmersible. On y est bien et il ne faudrait pas que les gens croient qu'il n'y fait pas bon et que c'est la raison pour laquelle j'ai eu besoin d'enfiler cette loque. C'est juste parce que je suis coquette, sans doute.
Commentaire n°14 posté par petite racine le 07/03/2010 à 18h11
Ma chère, c'est qu'un rien vous habille.
Et merci surtout à toi, qui t'es chargée de toute la com !
Réponse de PhA le 07/03/2010 à 18h17

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