Après
les soins, je me suis promené sur la plage, juste en bas. C’est la
première fois que je sors du centre. Le
soleil était encore haut, d’autant plus haut que la mer était très
basse. Jamais je n’avais vu la mer se retirer autant, même aux
équinoxes. On devinait à peine l’eau à l’horizon, comme un trait
argenté discontinu. Alors j’ai marché dans sa direction, croisant
des méduses échouées, des grappes d’œufs de seiches, de grandes
ceintures d’algues.
Romain Verger, Zones sensibles, Quidam éditeur, 2006, p. 52.
J’ai
revu le docteur Alpheus. Il me félicite. Que de progrès rapides j’ai
accomplis ! Avec quelle facilité
mon corps se fait, se défait et se refait ! Il paraît que certains
résistent, d’une résistance organique. Et malgré leur bonne volonté, les
résultats resteront limités. Il m’examine :
je peux maintenant embrasser mes orteils, tresser mes bras, me tirer
la peau de la nuque et des épaules, en couvrir ma tête comme d’une
capuche. Le meilleur des yogis ferait pâle figure face à
moi. Le docteur Alpheus me dit que je suis mûr.
Romain Verger, Zones sensibles, Quidam éditeur, 2006, p. 71-72.
Un professeur de français qui souffre du dos dans le train qui l’emmène à son collège de banlieue, ça fait
beaucoup de zones sensibles. Celles auxquelles trop vite on
pense cèdent la place aux autres, dans le dos de Romain – car c’est
aussi, glissé comme par inadvertance, le prénom du
narrateur – qui nous emmène, tenus que nous sommes d’une main
discrète mais ferme, d’une réalité à l’autre. Un glissement naturel nous fait passer d’une autobiographie probable assez
exacerbée au cauchemar tranquille et consenti de ne plus (du tout) être soi.
C’est le premier livre mais le deuxième que je
lis de cet auteur aux titres doublement doubles comme son nom : Zones sensibles, Grande Ourse, Verger, Romain ;
deux mots, substantif et
adjectif, deux sens possibles, et chaque fois cette apparente
réalité qui en cache une autre, inouïe, peu à peu avec stupeur
découverte dans le détail des corps. Se peut-il que, comme le corps
aussi, le nom que l’on porte joue son rôle dans l’écriture ?
Romain, l’auteur, tient son blog mystérieux (dans les deux sens de la phrase) ; c’est Membrane, allez-y sur la pointe des pieds.
Le blog est très beau et les livres aussi, d'ailleurs Grande Ourse est l'un des deux titres qui m'ont convaincu de proposer mon travail à Quidam.
Bonne dédicace.
(Heureux de vous retrouver.)
(Réciproquement.)