« J’ai
enfin tous les pouvoirs dont j’ai toujours rêvé ! » C’est ce que disait
le Vengeur d’Argent,
ou le Casse-cou Volant, je ne sais plus, en surgissant de l’ombre
d’un laboratoire en ruines sur un cahier d’écolier petit format, CM2 ou
sixième, je ne sais plus, ça commence à dater – de
l’époque où j’hésitais encore entre la littérature et la bande
dessinée. (Si j’ai vite renoncé à celle-ci, c’est aussi par facilité ;
un peu comme un coureur à pied aurait renoncé à une
carrière de cycliste parce qu’il faut gonfler les pneus.)
N’empêche : j’ai vraiment des super-pouvoirs. La preuve : j’ai encore ressuscité le poisson rouge. Il était mort, une fois de plus,
il flottait à la surface, le ventre en l’air, immobile. Les chats ont
neuf vies, je soupçonne les poissons d’en avoir
81. Celui-là, depuis six ou sept ans qu’il est à la maison, doit en
être à sa troisième ou quatrième résurrection, je ne les compte plus.
J’ai pris le coup de main. Je prends délicatement mon
poisson entre mes doigts, complètement inerte, aucun mouvement de la
bouche ou des ouïes, ne parlons pas des nageoires ; je le remets à
l’endroit, je le tiens : aucune réaction. Il
était encore plus mort que la dernière fois. Je ne le lâche pas pour
autant, il me reste une main, tiens, et le téléphone n’est pas loin, on
peut faire plusieurs choses à la fois ; et tout
en discutant je vois la bouche de mon poisson qui commence à
s’ouvrir et à se fermer, très faiblement, puis de moins en moins, et… je
vous passe la suite, même scénario que la dernière fois, la
bestiole est repartie pour un tour de bocal.
Je
vous le dis : j’ai des super-pouvoirs. J’en ai même deux : car non
seulement je ressuscite les
poissons rouges, mais j’ai aussi la prescience des crottes de
pigeon. Un peu comme Spiderman. Ce n’est arrivé qu’une fois, mais tout
même. C’est resté aussi dans la mémoire de M, qui peut
témoigner. C’était à la Gare Saint-Lazare, ou la Gare de l’Est, je
ne sais plus ; nous marchions côte à côte, d’un bon pas et, d’un coup,
sans raison apparente, je m’arrête brusquement. M se
tourne vers moi, étonnée : une crotte de pigeon, passée à cinq
centimètres de mon nez, venait de s’écraser entre mes pieds. Oui madame.
D’ailleurs, depuis ce jour, les oiseaux n’essaient
plus de me faire caca dessus, par crainte du ridicule.
Tiens, maintenant que j’y pense, je me rends compte que mon poisson n’est pas tout à fait innocent dans la
petite farce que je viens de faire à Frédéric Forte, le poète
public. (Pas pu m’empêcher. Le sérieux me fait sérieusement
défaut. J’ai été tout de suite découvert, d’ailleurs. Les poètes sont
tous plus ou moins détectives, je devrais être plus prudent.)
Au départ, c’est le fiston qui, je ne sais pourquoi, cherchait une
image de poisson fluo. Il croise les doigts, fluo devient flou, et le
voilà tout étonné qui tombe sur son propre poisson,
pêché par ses soins lors d’une pêche aux canards. Et d’inaugurer le
jeu des requêtes improbables menant au blog à Papa. Par exemple, pour
aller chez Frédéric Forte, vous pouvez taper
« extase dans une église d’un banquier en bikini », ça marche ; ou
encore, plus honnêtement : « rechercher les mots-clef pour faire des
farces au poète public ».
Mais on doit pouvoir faire bien mieux, en voyant les choses en grand
– d’ailleurs Frédéric y songe.
Questions cependant : je n'ai pas compris, votre poisson rouge, vous le massez in or out du bocal ? Ne feint-il pas la mort pour susciter votre attention ? Lui parlez-vous suffisamment et en quelle langue?
Je le crois assez roué, en effet, mais s'il simule, quel talent !
Mais prenez garde car je me demande si, ainsi réssuscité, sa mémiure ne déteint pas sur la vôtre : combien de fois avez-vous dit "je ne m'en souviens plus"? Pourvu que demain vous ne preniez pas une couleur fluo... ou floue (puisque la visibilité est mauvaise)