jeudi 8 octobre 2009

nous vous remercions de votre attention

nous vous remercions de votre attention – et reprenons notre récit qui décrivait le frottement des carcasses entre elles – il faut préciser que dans la zone des carcasses ces frottements n’aboutissent à rien – totalement vains dans le sens qu’ils ne donnent aucun fruit ni aucun plaisir – ce ne sont que de vieux réflexes – dans la zone une carcasse ne peut pas engendrer une autre carcasse – elle ne peut que la frotter – l’engendrement est possible seulement quand la carcasse est transmutée dans une nouvelle forme de vie – humaine ou animale – et peut-être même en tant que plante ou objet – mais cela demanderait des confirmations qui ne sont pas à notre disposition pour le moment – en tout cas c’est en se frottant les unes contre les autres que les carcasses se stimulent entre elles dans la zone – mais sans aucune raison ni aucun résultat – c’est un peu comme de l’art pour l’art – du frottement pour du frottement – nous disons frottement parce que nous n’avons pas pu trouver un meilleur terme pour décrire l’activité sexuelle propre à la zone des carcasses – sans doute que baiser ne conviendrait pas – et offenserait sûrement les lecteurs potentiels de cette fable – surtout que ces frottements peuvent se faire aussi bien avec la carcasse d’en dessous qu’avec celle du dessus – donc disons que depuis des temps immémoriaux ces carcasses empilées les unes sur les autres sans aucune espèce d’ordre ou de logique forment un énorme tas de vieilles peaux vides qui frémissent ensemble – un tas de la forme d’une haute pyramide – plus large à sa base puisque le nombre de carcasses jetées sur ce tas de toute antiquité est forcément plus grand – durant depuis une éternité ce n’est qu’une hypothèse que nous proposons – ce tas de carcasses empilées les unes sur les autres pourrait avoir d’autres formes géométriques – ou non géométriques - nous laissons ces conjectures à l’imagination des lecteurs potentiels – parlons maintenant du processus cyclique de la transmutation – imaginons un instant chaque carcasse potentielle – humaine ou animale – faisant la queue leu leu – tenant sa position dans le circuit qui mène de la vie à la mort – et vice versa de la mort à la vie – la mort la mort toujours recommencée – comme aurait pu dire Paul Valéry – passant d’un état à l’autre par transmutation – de bas en haut – de la terre vers le ciel pourrait-on naïvement dire – pour ceux qui s’illusionnent encore de mensonges religieux – de haut en bas ou de droite à gauche – pour ceux qui se foutent de quitter la place dans une direction ou dans une autre – vivant mort – mort vivant – et revenant encore et encore – ou plutôt se répétant comme une rumeur transmissible à l’infini dans n’importe quelle direction – c’est ce processus qui permet la reproduction – grâce au sexe – disons-le tout net – ce qui confirme ce que nous énoncions plus haut – la transmutation et le sexe ne sont qu’une seule et même chose – mais laissons là ces considérations d’ordre métaphysique
 
Raymond Federman, Les Carcasses, LaureLi Léo Scheer, 2009, p. 50-52.
 
Quand j’ai choisi cet extrait pour illustrer le dernier livre de Federman, je ne savais pas que c’était le dernier. Quand j’ai lu la nouvelle chez son éditrice, je me suis trouvé heureux d’avoir eu une fois l’occasion d’entendre sa voix. J’ai un peu regretté que ma timidité vaguement bêtasse m’ait empêché de lui dire en face tout ce que je pensais de son œuvre – mais de toutes manières je n’en aurais pas eu le temps. Ici j’en ai un peu plus (enfin, pas beaucoup plus en fait).
Des Carcasses de Federman, on en parle aussi notamment chez Claro, Libr-critique, et sur Lignes de fuite



Commentaires

C'est donc le Federman que je connaissais grâce à Beckett. L'émotion est encore plus forte. (Un instant, j'ai cru à la disparition de l'éditeur Verdier.) Je m'en vais lire cet auteur - un de plus grâce au blog, ça devient une ruine cette affaire! Mais merci tout de même! plutôt deux fois qu'une!
Commentaire n°1 posté par Depluloin le 08/10/2009 à 16h06
C'est bien lui - et moi aussi, je l'ai "connu" il y a bien longtemps grâce à Beckett. (Je mets "connu" entre parenthèses car à l'époque, il n'était à mes yeux qu'un universitaire américain...)
Commentaire n°2 posté par PhA le 08/10/2009 à 17h05
Depluloin, quel esprit !
Mais arriverez-vous à tout lire ? Monsieur Pha, raisonnez-le ce n'est pas bon pour son arthrose!
Commentaire n°3 posté par Souricette le 08/10/2009 à 18h23
Rassurez-vous, Souricette ; la lecture de Federman est un excellent remède contre l'arthrose (entre autres).
Commentaire n°4 posté par PhA le 08/10/2009 à 18h34
Me voilà rassurée. Mais savez-vous pourquoi Depluloin ne veut plus m'épouser? Une mauvaise lecture, peut-être ?
Commentaire n°5 posté par Souricette le 08/10/2009 à 18h49
Souricette!! La Surintendante vous demande!! Ne vous dispersez pas!!
Commentaire n°6 posté par Depluloin le 08/10/2009 à 18h56
Oui !
(regardant partout)
Où ça ?
Commentaire n°7 posté par Souricette le 08/10/2009 à 19h23
Au fait, chère Souricette, j'ai pensé à vous en regardant la couverture des Carcasses.
Réponse de PhA le 09/10/2009 à 07h28
Mon Dieu, Philippe! Trop tard! Tout le monde aux abris!!
Commentaire n°8 posté par Depluloin le 09/10/2009 à 10h01
Oui, j'ai oublié les guillemets dans mon premier commentaire qui pourrait laisser penser que je tapais sur l'épaule de l'un et de l'autre!
Commentaire n°9 posté par Depluloin le 09/10/2009 à 10h27
Non non, Depluloin, mes guillemets n'étaient pas une invitation à vous en orner vous aussi ; je voulais juste souligner les différentes identités que la vie a fait assumer à Raymond Federman, et le manque de visibilité qui, à la fin de mes études, me le faisait voir juste comme un universitaire américain spécialiste de Beckett - qu'il était aussi - mais ô combien pas seulement.
Commentaire n°10 posté par PhA le 10/10/2009 à 16h49

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