L’autre livre au fond de mon sac noir ce jour-là, c’était celui-ci, dont l’auteur était à mes côtés. Sa lecture,
achevée il y a déjà quelques jours, résonne encore.
L’averse
cessa. La station prolongée à plat ventre avait achevé de me rincer. La
pluie avait transpercé les
brodequins d’Elébotham, et c’est au son d’une armée d’éponges que je
courus vers ma cabane. Je me donnai une bonne heure de course pour
l’atteindre.
Il ne devait être pas loin de dix heures du matin à ce moment-là, et
je m’arrêtai, figé par
la stupeur : la nuit tombait. Une énorme chape de peinture noire
semblait s’abattre sur la forêt, tandis que la pluie qui avait repris
n’était qu’épines de glace, m’agressant sans
ménagement. Je sortis de ma besace une lampe de poche que j’avais
emmenée je ne sais trop pourquoi. Elle éclairait faiblement mais il
allait falloir s’en contenter. Cette étrangeté climatique
tombait au plus mal. Pour rejoindre la cabane, je devais bifurquer à
travers bois et je n’étais plus du tout sûr de me repérer. Je pris le
parti de m’orienter vers l’est, mais au bout de quelques
mètres je dus avouer que je faisais fausse route : nulle trace de
l’aulne solitaire qui me servait de borne. Je filai à l’aveuglette,
priant pour que la torche ne rende pas l’âme. Alors que
je commençais à désespérer de pouvoir retrouver mon chemin, la nuit
s’esquiva aussi brutalement qu’elle était apparue, faisant place à une
blancheur des plus énigmatique. Je surplombais alors un
marais. Je sus aussitôt où je me trouvais.
Ce
marais se situait aux confins du Bois du Loup Gris, proche d’un courant
naturel qui de l’océan sinue loin dans
les terres. Le courant est navigable, et la plupart du temps
magnifique, les saules s’avançant au-dessus de l’eau, les passages
larges succédant à d’autres bien plus étroits et touffus. Il fait
office de frontière entre deux grandes forêts. Le marais lui-même ne
dépasse pas la douzaine de mètres de largeur. L’eau stagnante et
grisâtre était couverte de feuilles et de nénuphars ; de
temps à autre, la surface se troublait sous l’action de grenouilles
entreprenantes. Tous les arbres autour de l’étang étaient morts, sans
exception. Deux chênes fourbus penchaient exagérément,
comme si le marais cherchait à les avaler. Certaines de leurs
branches mortes touchaient presque l’eau ; les brindilles blanches et
sèches y étant encore attachées se rejoignaient pour former une chevelure
de vieille dame épuisée et en pleurs. Plus loin, les premiers pins,
chênes et autres aulnes se tenaient à distance, pour éviter d’être
happés à leur tour. L’herbe sur la berge était jaunie par le
soleil qui ici trouvait à s’activer sans relâche à la belle saison.
La lumière froide et blanche renforçait l’atmosphère surnaturelle qui
s’en dégageait.
Je ne pus m’empêcher de rire. C’était la mare de lou cadetoun !
L’idiot du village, le toujours
dans la lune. Il y a longtemps, le pauvre gars d’un village voisin
avait accompagné les gemmeurs dans cette zone. Pour se moquer de lui,
ils lui avaient expliqué qu’il leur fallait un plan d’eau
à proximité pour qu’ils puissent se désaltérer. La mare était donc
un étang artificiel creusé par le type, après qu’il eut abattu les
arbres qui le gênaient. Ça lui avait pris une dizaine
d’années. Comme le courant n’est pas très loin, il avait pioché et
pioché pour faire une tranchée reliant les deux, et voilà comment il
avait rempli son trou !
Je continuai ma route, lorsque je distinguai une petite forme blanche à une dizaine de mètres devant moi. Je sus
qu’il s'agissait de mon écureuil couvert de givre. Il ne paraissait pas s’en émouvoir. Et il ne bougeait pas.
Jérôme Lafargue, Dans les ombres
sylvestres, Quidam éditeur, p. 145-147.
@ Frédérique : Pas mal, Frédérique, mais l'emploi du temps de Spiderman est un peu surchargé ces derniers temps ; Peter Parker a du mal à honorer tous ses rendez-vous !