Paris, mercredi 14 avril 2004
Cher Monsieur,
Nous avons lu avec intérêt Chroniques imaginaires de la mort vive,
le chant de cet homme de retour en son village d’enfance, Moustier, que
sépare de Vauvert un bois. C’est un lieu minuscule que l’imaginaire de
l’enfant rendait infini : les hommes visibles, la Bête invisible et la
princesse inaccessible. Le lieu que retrouve l’adulte est tout aussi
insaisissable : les morts se succèdent et face à ces morts, le silence
de la meute des hommes. Ils ont perdu le pouvoir de dire. Les mots,
vidés de leur substance, se murmurent comme des litanies. Le narrateur
lui-même ignore ce qui le rend désormais étranger à ces gens et à
lui-même, sans nom propre. Il s’interroge sur ce qui meut la langue :
« La mort de Marie avait fait taire Vauvert, celle de François lui avait
rendu la parole. » L’ennemi commun surgit sous le nom du Malin dans la
bouche des femmes ou du loup, selon la nécessité du langage commun.
Derrière
le silence, il y a les soldats inconnus sans sépulture et derrière
encore, la mort de Dieu, dont la lumière chue nappe indifféremment les
objets. La mort du maître, du roi, livre les hommes à la « volonté
lubrique et rigolarde de leur membre », en toute impunité.
Et
derrière la princesse inaccessible, il y a l’étreinte du corps de Mina
aux mains sales, la desservante d’Hécate. Cette étreinte n’abolit pas la
différence sociale qui, fixée dans son inaccessible origine, est
éternelle. La goutte visqueuse luit du mystère éternel de « l’origine de
la vie dans l’ombre », la semence de trop, que l’on essuie. La mort de
Mina replace l’homme à la tête de la meute des chiens, à charge de
nommer.
Le récit, maintenu par l’imparfait et le plus que parfait dans un temps quasiment immobile, se situe aux limites de l’indicible.
Ses qualités font qu’il devrait sans peine trouver son éditeur.
Bien à vous.
Bobillier
Chroniques imaginaires de la mort vive a en effet trouvé un éditeur, il est paru chez Melville en 2005.
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