Je ne vais pas bien du tout.
À la fenêtre, le drap blanc de nuages qui s’avance sur le ciel bleu de février ferait pourtant plaisir à l’œil.
Je ne vais pas bien du tout. D’ailleurs je ne vais pas du tout, tout court : je suis assis.
L’homme, pour aller, marche. C’est sa manière de fonctionner. Un homme qui marche, c’est un homme qui fonctionne. Un homme qui va, c’est un homme qui marche.
C’est pour ça que l’homme s’est fait ami avec le chien. Le chien aussi, marche. Tous les deux, ils ont de l’endurance. Regarde les jambes de l’homme. C’est le seul primate à avoir des jambes pareilles. Des jambes pour marcher. Car marcher, pour l’homme, c’est fonctionner.
Je ne vais pas bien du tout. D’ailleurs c’est lui qui me l’a dit. Il ne me l’a pas dit comme ça, mais enfin, il m’a dit : « Je me demande si tu vas bien. » Ça veut dire que je ne vais pas bien. À ses yeux, je ne vais pas bien. Pourtant je peux marcher, je peux encore marcher, je peux encore marcher beaucoup plus que la plupart des hommes, au moins des hommes de mon âge, mais peut-être même des hommes tout court. Je peux très bien marcher, si je veux. Même si là je suis assis.
De toute façon je n’ai pas de chien. Je ne me suis pas fait ami avec le chien.
On peut très bien marcher sans chien. On peut très bien marcher sans rien. On peut marcher. Ça ne demande rien, de marcher. On n’a même pas besoin d’aller, pour marcher. Aller suppose d’aller quelque part, ou bien d’aller comment, bien ou mal.
Ça va ? Hein ? Comment ça va ?
Alors que marcher, au moins, ne nécessite aucun but. J’ai même l’impression qu’on marche mieux sans but. On a une meilleure qualité de marche. On se sent fonctionner, quand on marche sans but. L’homme fonctionne mieux pour rien.
Sans but. Le but, c’est une fin. Une fin, c’est une mort. Quand tu fais quelque chose avec un but, c’est pour ta mort. Tu le fais, et quand tu as fini, tu es satisfait. Quand tu as fini, quand tu touches à la fin, tu es satisfait. Tu es satisfait de toucher à la mort.
Le but, c’est un bout. La vie a deux bouts. Mais un seul sens. La vie à sens unique. La vie a sens unique. C’est pour ça qu’on va, au lieu de juste marcher sans aller. On va vers le but qui est le bout avec un grand trou rond en forme de o dans lequel on tombe au bout. C’est pour ça qu’on demande comment tu vas mais pas où. Où on le sait bien. On le sait bien où tu vas. Tu vas mourir. Ça ne sert à rien de demander ça. Par contre, tu peux y aller bien ou mal, à ta mort. Il y a deux possibilités, deux manières d’aller mourir. Bien ou mal.
Je ne vais pas bien mourir. Voilà. Je ne vais pas bien, ça veut dire : je ne vais pas bien mourir. Je ne vais pas du tout bien mourir. Je vais mourir, mais pas du tout bien. Qu’on ne compte pas sur moi pour aller bien mourir. Je vais prendre mon temps. Je vais prendre des rallongements. Je vais marcher longtemps. Ceux qui me connaissent savent que je peux marcher longtemps, très longtemps. Je vais marcher. Je vais marcher longtemps. Je fonctionne.
Je fonctionne bien.
Plutôt que d'avoir des obsèques manquant de fioritures
RépondreSupprimerJ'aimerais mieux, tout compte fait, me passer de sépulture
J'aimerais mieux mourir dans l'eau, dans le feu, n'importe où
Et même, à la grande rigueur, ne pas mourir du tout
hein
Sinon
SupprimerJuste au bord de la mer, à deux pas des flots bleus
Creusez si c'est possible un petit trou moelleux
Une bonne petite niche
Auprès de mes amis d'enfance, les dauphins
Le long de cette grève où le sable est si fin
Sur la plage de la corniche