jeudi 2 novembre 2023

Le chenil de Laurent Margantin

Si j’avais été éditeur et plein d’argent et que Laurent Margantin m’eût proposé le manuscrit du Chenil, je n’aurais pas hésité un instant à profiter de cette invraisemblable conjonction des astres pour en assumer la publication avec enthousiasme – et il n’y a pas tant de textes dont je pourrais dire ça. C’est un texte qui a tout pour me plaire. Une fois n’est pas coutume, je vais tenter de dire un peu « de quoi ça parle ».

Déjà : ça parle. Ça parle et ça ressasse, avec des phrases dont le terme est sans cesse repoussé, comme s’il n’y avait pas de terme à ce qui est dit. La voix est celle du narrateur, un homme peut-être jeune encore, qui vit avec sa mère – sa mère dont il ne parle jamais en disant « ma mère » mais toujours « la mère » –, une vieille femme qui le maltraite en paroles, tu pues (c’est comme ça, en italiques, que les dialogues sont directement insérés dans le récit), comme en gestes, griffures et coups de poing dans le dos, et contre laquelle jamais il ne se rebiffe, porteur qu’il se sent d’une culpabilité originelle. Et puis il y a les chiens, venus de nulle part, ou d’une autre ville au-delà des plaines, une ville dont personne ne se préoccupe au point qu’on ne sait même plus son nom, à la suite d’une catastrophe probable et indifférente à tous, qui arrivent de plus en nombreux dans la ville du narrateur, effrayant les habitants, des vieux pour la plupart, lesquels se plaignent que le Conseil ne fait rien pour réagir. Et il y a le chenil, sur une colline, dans la forêt à l’est de la ville, resté à l’abandon, où le narrateur, sur ordre du Conseil et sur la volonté de sa mère, doit aller « travailler ».

C’est donc, pour dire vite, un roman, que le Chenil. Le narrateur y vit une vie de cauchemar entrecoupée de cauchemars au sens habituel du terme ; on passe ainsi d’un cauchemar à l’autre, les deux se confondant. Sachant Laurent Margantin grand lecteur de Kafka, sans doute encore plus que moi (il en a aussi traduit bien des pages), je n’ai pu m’empêcher de penser parfois à la Métamorphose pour le rapport à la famille (voire aussi par instant à l’idée même de métamorphose), au Château, au Procès, mais aussi beaucoup au Terrier, voire à Recherches d’un chien. Pourtant c’est encore autre chose qui m’a séduit, quelque chose qui se joue dans la voix, ce ressassement sans fin, qui convie le lecteur à la lecture orale, et dans la fascination qu’exerce la passivité quasi masochiste du protagoniste. Un grand texte, à découvrir aux discrètes éditions Tarmac.





2 commentaires:

  1. Mille fois d'accord, ce livre m'a sidéré. Dominique Boudou

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    1. Il est sidérant en effet ! (Tiens Dominique, ça fait plaisir !)

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