dimanche 29 août 2021

vieux théâtre (2)

Comme je viens de déménager, je tombe sur des vieux textes du siècle dernier, à peu près oubliés. Il y a notamment quelques tentatives théâtrales. En voici une autre.



[Des individus, hommes ou femmes, non particuliers, font la queue. Les premiers disparaissent hors de scène, la queue se termine sur scène. La queue est immobile, elle épouse plus ou moins les contours de la scène. De temps en temps, à intervalle irrégulier, un ou plusieurs personnages viennent se placer en fin de queue. La fin de la queue doit cependant toujours rester visible, quitte à ce que la queue s’enroule sur elle-même, ou forme un zigzag. À un moment, un personnage particulier, par exemple par la couleur de son costume, apparaît et contemple la queue, de loin ; contrairement aux autres nouveaux arrivés qui vont se placer immédiatement. Il essaie de voir où « va » la queue, sans y parvenir. Une réprobation quasi muette et immobile émane des membres de la queue. Ce jeu de scène peut durer assez longtemps.]


Le personnage particulier : Rassurez-vous, je n’avance pas. [Silence des autres.] Je ne fais que regarder. [Silence appuyé des autres.] Il y a longtemps que vous attendez ? [On lui fait signe d’aller vers la fin de la queue.] D’accord, d’accord. [Silence.] J’y vais tout de suite. [Silence. Il s’approche de la fin de la queue, sans se placer dedans.] Il y a longtemps que vous attendez ?


Un personnage de la fin de la queue : Il faudrait que vous preniez votre place ; d’autres personnes vont arriver.


Le personnage particulier : Ce n’est pas grave. Je ne sais pas encore si je vais attendre.


[On le regarde d’un air incrédule, puis on hausse les épaules. Quelqu’un arrive.]


Le nouvel arrivant : C’est votre place ?


Le personnage particulier : Il n’y a pas de problème, vous pouvez vous y mettre.


Le nouvel arrivant : Vous étiez bien là avant ?


Le personnage particulier : Oui, mais je ne m’étais pas décidé ; vous pouvez vous placer.


Le nouvel arrivant [avec un haussement d’épaules: Comme vous voulez.


Le personnage particulier : [à la cantonade: Il y a longtemps que vous attendez ?


Le nouvel arrivant : Vous étiez là avant moi.


Le personnage particulier : C’est-à-dire que je n’étais pas vraiment là. [Il se place ostensiblement dans la queue. Il arbore un large sourire, qui tranche avec l’expression neutre des autres. Il essaie de parler à la personne qui précède le nouvel arrivant, par-dessus la tête de ce dernier.] Il y a longtemps que vous attendez ?


L’interpellé : Vous m’avez parlé ?


Le personnage particulier [toujours par-dessus la tête du nouvel arrivant: Il y a longtemps que vous attendez ? [Un autre personnage vient prendre sa place dans la queue, derrière le personnage particulier.]


Le nouvel arrivant : Vous voulez bien ne pas crier par-dessus mon épaule ?


Le personnage particulier : Je vous prie de m’excuser. [Il sort de la queue pour parler à l’interpellé.]


L’autre personnage, dernier arrivé : Il vaudrait mieux garder votre place.


Le personnage particulier : Ce n’est pas grave, vous me la gardez.


L’autre personnage : Vous ne manquez pas d’audace. Je ne vous garde rien du tout.


Le personnage particulier [à l’interpellé: Il y a longtemps que vous attendez ?


L’interpellé : J’ai dû arriver juste avant vous, forcément. [Un nouveau personnage vient se placer en fin de queue.] Vous devriez reprendre votre place.


[Le personnage particulier va pour reprendre sa place.]


Le personnage particulier [à l’autre personnage: Excusez-moi. [L’autre personnage reste impassible.]


Le nouveau personnage : De quel droit ne prenez-vous pas la queue, comme tout le monde ?


Le personnage particulier : Je vous prie de m’excuser, j’étais déjà arrivé.


Le nouveau personnage : Alors pourquoi n’étiez-vous pas dans la queue ?


Le personnage particulier : J’y étais. J’en suis juste sorti pour poser une question. [Désignant l’autre personnage.] Cette personne peut vous le dire.


L’autre : Vous voyez bien que vous gênez tout le monde. [Les autres paraissent approuver. Le personnage particulier reste en marge de la queue. On sent qu’il aimerait bien s’y placer mais qu’il n’ose pas. Plusieurs personnes, sans faire attention à lui, viennent prendre leur place dans la queue.]



30 octobre 1998

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