dimanche 2 juillet 2017

inplicit

Hier j'ai inventé un nouveau jeu. C'est rigolo. J'ai appelé ça l'inplicit parce que ça consiste à prendre l'incipit et l'explicit d'un livre et à les coller l'un à l'autre. Ça nous fait l'économie de la lecture de tout le reste et c'est souvent très révélateur. J'ai commencé avec la Recherche et évidemment je suis tombé sur le très joli
« Longtemps, je me suis couché dans le Temps. »
Comme ça me disait quelque chose, j'ai fait une recherche et je me suis rendu compte que Genette l'avait déjà trouvé ; c'est dans Palimpsestes mais je n'ai pas relu tout le passage, j'ai envie de refaire mes petites trouvailles tout seul si vous voulez bien.
L'inplicit rendant le contenu du livre implicite son nom lui va bien je trouve. A notre époque du tout économique on a tout à y gagner, la Recherche en huit mots est vite lue et somme toute, qui sait, il reste l'essentiel. D'ailleurs taire est une tendance de la littérature, mon système a du bon.
Dans la foulée, j'ai inplicité quelques classiques que vous reconnaîtrez sans peine :

« Nous étions à l'Étude, quand le Proviseur entra, suivi d'un nouveau habillé en bourgeois et d'un garçon de classe qui portait la croix d'honneur. »

« Le 15 mai 1796, le Général Bonaparte fit son entrée dans Milan à la tête de cette jeune armée qui venait de passer le pont de Lodi, et d’apprendre au monde qu’après tant de siècles César et Alexandre avaient un successeur : Ernest V adoré de ses sujets qui comparaient son gouvernement à celui des grands-ducs de Toscane. »

« Madame Vauquer, née de Conflans, est une vieille femme qui changeait pour lui l'aspect de la société. »

« Le rêve est une seconde descente aux Enfers. »

« Je venais de finir à vingt-deux ans mes études à l'université des remords aux regrets et des fautes aux souffrances. »
(De qui est celui-ci, hein ? On fait moins les malins.)

« C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar.
Les soldats qu'il avait commandés en Sicile se donnaient un grand festin pour avoir touché au manteau de Tanit. »
(L'une des difficultés, pour certains romans, consiste à ne pas trop remonter l'explicit si celui-ci a le malheur de dire explicitement quelque chose du dénouement, afin de ne pas gâcher le plaisir des lecteurs qui auraient encore l'idée incongrue de lire le roman dans son intégralité.)

J'ai même essayé avec un recueil de poèmes (illustre) :
« La sottise, l'erreur, le péché, la lésine,
Occupent nos esprits et travaillent nos corps,
Au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau ! »
(Un inplicit qui me parle de ma sottise à trouver du nouveau dans l'inconnu – en l'occurrence ce jeu de l'inplicit : on est toujours renvoyé à ce qu'on fait.)

Puis je suis revenu au XXe siècle :

« Ça a débuté comme ça. Moi, j'avais jamais rien dit, qu'on n'en parle plus. »
« Nous voici encore seuls, mon oncle. »
(Oui, c'est le même auteur.)

« C'est le moment de croire que j'entends des pas dans le corridor », se dit Bernard. « Je suis bien curieux de connaître Caloub. »
(Facile, je le reconnais.)

« Aujourd'hui, maman est morte avec des cris de haine. »
(Mais hier, non. Demain non plus. Il n'y aura pas d'histoire. Pas de meurtre. Ou, s'il y a meurtre, il n'y aura pas de procès.)

Evidemment, cet auteur-ci ne pouvait échapper :
« Le voyage de Mercier et Camier, je peux le raconter si je veux, car l'ombre se parfait. »
« Je serai quand même bientôt tout à fait plus rien »
« Où maintenant continuer. »
(Remarquez comme ces trois derniers mots résument bien le problème qui se pose à Beckett après avoir terminé l'Innommable – car évidemment c'est lui.)

« Vous avez mis le pied gauche sur la rainure de cuivre et vous quittez le compartiment. »

« Il tenait une lettre à la main, abandonnée, inutilisable, livrée à l'incohérent, nonchalant, impersonnel et destructeur travail du temps. »
(Un de mes inplicits préférés. C'est la Route des Flandres de Claude Simon – et c'est aussi la littérature.)

Comme mon ami Didier da Silva me disait le bien qu'il pensait de ce jeu (c'était sur Facebook, au fait – un terrain de jeu, quoi), je lui ai répondu :
« C'est à peine s'il somnole doucement dans le vent. », et vous, lisez donc Hoffmann à Tokyo si ça n'est pas déjà fait, à quoi il m'a répondu :
« Une autre brindille encore apparaît, au moins comme ça enfin c'est fini. »
J'avoue que cédant au narcissisme propre à la profession, j'avais déjà inplicité :
« C'était en plein milieu des champs. Il n'y avait pas de relief à la surface du monde. »

D'ailleurs j'avais bien envie de faire un sort aussi aux auteurs contemporains, par exemple à Pascale Petit :
« J'aime quand elle me dit On retrouvera nos corps recouverts de suçons et deux cents tonnes de cailloux inconnus sur Terre. »
C'est l'inplicit de Manière d'entrer dans un cercle & d'en sortir, un inplicit assez explicite je trouve ; quelque chose comme le faisceau minuscule et circonscrit d'une lampe torche dans la pénombre.

(Bon, ceux qui chercheraient des réponses peuvent regarder dans les libellés au pied de ce billet.)

5 commentaires:

  1. Idée simple mais ô combien jubilatoire, promesse profuse de bonheurs !

    Ainsi réduit à deux phrases, le Voyage de Céline résonne comme du Beckett, justement…

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    1. Merci ! Pour la peine, un peu de rab :
      Inplicit dostoïevskien :
      "L'été arriva, et Veltchaninov le regretta plus tard !"
      Melvillian inplicit :
      "Call me another orphan."
      Inplicit chevillardien de 2017 :
      "C'est beau dans toutes les directions."

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  2. Pour rester chez les Slaves, un peu de Gombrowicz :
    « Je vous raconterai une autre aventure plus étonnante… Aujourd'hui, à déjeuner, on a mangé de la poule au riz. »

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