dimanche 11 mai 2014

le document crée de la mélancolie


En prenant toutes ces photos, je manifeste et tente d’objectiver une détresse souterraine qui se moque pas mal des gestes vains que je peux faire puisqu’elle ne desserre pas son étreinte. Morsure. On doit même pouvoir dire que ces gestes la nourrissent ; il y a toujours un horizon artistique derrière chaque prise de vue, qui ennoblit le geste dérisoire et la motivation psychologique – la détresse a un manteau qui a de la gueule (la veste en croco de Sailor, par exemple) et ça relance les dés. Voilà : le document crée de la mélancolie. L’archive, le document portent en eux, intrinsèquement, essentiellement, une mélancolie. Ils soignent une détresse par la mélancolie. Celle-ci ne relève pas obligatoirement de l’individu, mais elle s’impose à lui de l’extérieur à coups de petites capsules de temps. Le document c’est du temps encapsulé qui explosera de manière fugace. Le document est une madeleine (la réciproque n’en est pas vraie, elle serait même difficile à avaler). Le document pose un rapport mélancolique au monde ; on commence par vouloir fixer telle ou telle chose (un coin de rue, le sourire d’une petite fille) et on en vient à vouloir tout sauver parce que tout va disparaître. Dans son Histoire de la Commune de 1871, Lissagaray écrivait : « l’exécution fut aussi folle que l’idée » et c’est un peu ça, oui : le remède est aussi fou que la maladie, quand il ne la modèle pas de bout en bout.
 
(C’est un extrait de « Photographier mille fois le ciel, ma fille ou le maréchal Foch » d’Arno Bertina et c’est dans le volume 2 de Devenirs du roman, Ecriture et matériaux, signé par plein de belles plumes chez Inculte.)
ciels 11 avril 2013 005

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