samedi 12 avril 2014

Mon jeune grand-père (33)

  Le 27 avril 1917. Mes chers parents
Le courrier marche mieux en ce moment. Cette première ligne est écrite moins petit qu’à l’accoutumée : « moment » est même coupé en bout de ligne. Comme si Edmond avait oublié le manque de place. Elle se resserre progressivement sur les lignes qui suivent. J’ai reçu la lettre de Louis du 9, les cartes de Papa des 10.11.12.13 et une lettre de Lucie du 11 A. La lettre de Louis m’a fait grand plaisir, j’y comptais du reste un peu. « Tu devrais écrire à ton frère. » La phrase est possible. Le mot de « captivité » y était peut-être, qui s’est transmis jusqu’à aujourd’hui. Je travaille en ce moment à son service à fumeur et j’espère pouvoir l’envoyer dans mon prochain colis dans le courant du mois de mai. De cette façon il pourra sans doute le voir à sa prochaine permission. Lucie a l’air d’avoir entendu mes plaintes, elle m’écrit une gentille lettre très emballée ; je crois que malheureusement elle va un peu vite. Edmond n’en dit pas plus. Nous ne saurons pas en quoi elle va un peu vite – la fin de la guerre ? la libération des prisonniers ? En tout cas cela veut dire qu’il considère que ses parents savent ce qu’elle a écrit. « Ton cousin se plaint de ne plus recevoir tes lettres. Elles l’amusaient beaucoup. » « Ça ne doit pas être drôle tous les jours. » J’ai reçu plusieurs colis : les postaux n°s 18.22.26.27.29.30.1.2 les colis gare n°s 17 et 18 et un colis de pain du 4 avril. Tout est arrivé en bon état sauf un colis poste le n°22 qui est arrivé complètement ouvert et avec seulement la moitié de son contenu. Mais ce n’est qu’un petit malheur. Même après avoir revu les colis dans la grande Illusion, je m’étonne toujours qu’ils arrivent. Mais peut-être que les nombres manquants représentent ceux qui n’arrivent pas. Il me semble que Louis se civilise, lui si ours avant, servir de cavalier servant à Suzanne, c’est étonnant. Dites-lui que je le félicite. Si Louis plus jeune était un de mes élèves, il aurait probablement droit à un PAI voire carrément à un PPS. Il serait étiqueté ceci ou cela. Avant on ne disait rien ou alors entre les lignes, on espérait sans bien y croire que les choses rentrent dans l’ordre, puisqu’il devait y avoir un ordre. Aujourd’hui on colle des étiquettes. Dites à Madeleine que je lui envoie mes félicitations pour ses 16 ans et que je lui souhaite de passer son prochain anniversaire au milieu des siens. Car Madeleine et Jean, son petit frère, sont hébergés ; et je ne sais pas vraiment qui ils sont. Nous nous sommes réunis à plusieurs camarades et nous avons fait venir un jeu de croquet. Ça fait passer le temps assez agréablement. Je vous quitte mes chers parents en vous embrassant tous deux bien fort, ainsi que Geneviève et Louis et toute la famille. Votre fils qui vous aime de tt son cœur. Et là du coup c’est tellement serré qu’il n’y a même plus la place pour la signature.

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