mercredi 9 avril 2014

critique journalistique et littérature du sujet

Bien sûr c’est facile à dire quand soi-même on élude régulièrement l’exercice, mais la critique littéraire c’est quand même bien quand c’est un écrivain qui la fait. Je me disais ça tout à l’heure en discutant avec moi-même et je me cherchais des exemples pour terminer de me convaincre et franchement c’était trop facile parce que je viens d’acheter le Cannibale lecteur de Claro dont je suis régulièrement le Clavier du même nom, et par association d’idées blogosphériques je me disais Jourde et très vite beaucoup d’autres dont certains ont même écrit sur mes propres livres ; ceux-là je ne vais quand même pas les nommer mais franchement ce sont toujours des articles d’une belle tenue, au point d’arriver à être intéressants pour l’auteur lui-même. Et très vite mon contradicteur intérieur de me faire remarquer que de nombreux critiques littéraires ont publié des romans. Comment dès lors faire la part entre des écrivains qui pratiquent aussi la critique littéraire et des critiques qui commettent des romans (souvent publiés chez de gros éditeurs, soit dit en passant, ce qui n’est pas nécessairement une circonstance aggravante mais peut l’être) ? Mes envies de lecture sont évidemment un critère indiscutable mais quelque peu limité par leur caractère privé. Tant pis.
Car il nous reste l’excellente question du sujet, qu’on n’épuisera jamais. Les livres dont on parle – entendez : les livres dont les journalistes parlent le plus – sont quasi toujours des livres à sujet. Le livre peut être bon, c’est quand même d’abord son sujet qui fera qu’on en parle. En finir avec Eddy Bellegueule, par exemple. Pas lu, rien à dire. Mais le sujet en lui-même, celui-là ou un autre, même moins spectaculaire mais immédiatement identifiable comme celui de la petite communiste qui ne souriait jamais (que j’ai lu et bien aimé) facilite évidemment la rédaction d’articles : ceux-ci risquent de parler moins du livre que du sujet mais peu importe. Il est par exemple beaucoup moins facile de parler de l’Accumulation primitive de la noirceur (que j’ai lu aussi et trouvé excellent) parce que le sujet n’est pas immédiatement discernable (c’est plutôt un sujet en creux) – d’ailleurs j’en ai lu quelques recensions élogieuses en réalité assez pauvres pour vraiment rendre compte du livre. Et c’est assez naturel. Le sujet est essentiel à la pratique journalistique, il en est la première condition. Que le journalisme fasse la part belle à la littérature du sujet, c’est dans l’ordre naturel des choses. Dans le pire des cas, le journaliste ayant la notoriété qui lui permettra d’être publié facilement renchérira lui-même dans la littérature du sujet : la littérature devient le moyen de se libérer du devoir de réserve propre au journalisme, où peut tranquillement s’effacer la tension entre l’objectivité attendue et la subjectivité inévitable. Une sorte de journalisme dégradé, en somme, où la littérature ne trouvera au mieux comme alibi que la « qualité de l’écriture ». On y perd de tous les côtés.

 

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