dimanche 12 mai 2013

Winnie floue, Winnie nette


On ne peut pas chanter comme ça, uniquement pour faire plaisir à l’autre, aussi cher soit-il, non, le chant doit venir du cœur, voilà ce que je dis toujours, couler de source, comme le merle. (Un temps.) Que de fois j’ai dit, dans les heures noires, Chante maintenant, Winnie, chante ta chanson, il n’y a plus que ça à faire, et ne le faisais pas. (Un temps.) Ne le pouvais pas. (Un temps.) Non, comme le merle, ou l’oiseau de l’aurore, sans souci de profit, ni pour soi, ni pour autrui. (Un temps.) Etrange sensation. (Un temps. De même.) Etrange sensation, que quelqu’un me regarde. Je suis nette, puis floue, puis plus, puis de nouveau floue, puis de nouveau nette, ainsi de suite, allant et venant, passant et repassant, dans l’œil de quelqu’un.
 
Samuel Beckett, Oh les beaux jours.
 
(Et pendant ce temps dans la salle, je hoche imperceptiblement la tête, de manière à voir tantôt à travers et tantôt au-dessus de mes lunettes, de manière à ce que le visage de Catherine Frot soit tantôt net, tantôt flou au point d’être complètement indéterminé, alors que les places sont bonnes, bien meilleures que celles que nous nous offrîmes (le vieux style) dans ce même Théâtre de l’Atelier, il y a quelques années, pour voir de bien plus loin mais sans lunettes Michel Bouquet et Rufus jouer les Hamm et Clov de Fin de partie ; de loin et sans lunettes, à croire donc que le temps passe, que le temps passe quand même malgré tout, Winnie.)
 

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