vendredi 27 février 2009

une vocation touristique

C’est sans doute influencé par ces jeunes qu’il se mit à fré­quenter ces endroits où une agitation prenait l’aspect d'une résistance. Il hanta les grèves, où on défilait devant des C.R.S. De temps en temps, ces gens d’ordre envoyaient une grenade ou distribuaient deux-trois coups de boutou. M. Balthazar Bodule-Jules se retrouva aux premières lignes des ouélélés qui se menaient contre la moindre exaction policière ou de force officielle. Tout devenait le signe tant attendu de la brutalité coloniale. Grévistes que les gendarmes postés dans les campagnes n’arrêtaient pas de fusiller. Fermetures d’usine qui laissaient aux abois des femmes et des enfants. Conflits autour de la canne, de la banane, de l’ananas ou du rhum qui n’en finissaient pas d’agoniser… À chaque fois, M. Balthazar Bodule-Jules était là, debout, vociférant contre le colonialisme. Le temps passa. Le pays devint un peu plus calme. Les der­nières usines avaient fermé. La plupart des champs se mirent à vivoter sous des torrents de subventions. Tout un chacun percevait six-sept allocations. Quant aux défen­seurs du peuple, ils s’étaient trouvé (à mesure de leur cote) des postes électifs où ils représentaient on ne sait ­quoi et percevaient d’engourdissantes indemnités.
 
Mis à part sa guérilla syndicaliste, M. Balthazar Bodule-­Jules lutta contre une nouvelle lubie : le tourisme à tout-­va. Des promoteurs surgissaient de partout. Ils décré­taient que ce pays disposait d’une vocation touristique. Ils voulaient transformer chaque commune en hôtel. Instal­ler des agences de voyages à l’entrée des églises. Poser des gîtes sous les grands arbres. Dresser des papillons pour qu’ils dansent à l’entour des guinguettes. Transformer les pêcheurs en guides pour charters. Les agriculteurs devaient suivre des cours d’art dramatique pour animer des saynètes bucoliques autour de la canne et de l’ananas. Les touristiqueurs se proposaient de peindre les merles en bleu, de parfumer les manicous, et de récompenser les jeunes capables de sourire aux couvées de touristes. Ils embauchaient des milliers de jeunes filles, déguisées en doudous, et qui devaient danser dans les aéroports et les débarcadères. Ils dispensaient des formations d’électricien-tourisme, maçon-tourisme, entrepreneur-tourisme, ingénieur-tourisme, journaliste-tourisme, informaticien-­tourisme… Une université spéciale fut montée (en kit) pour délivrer par an sept millions de diplômes touris­tiques. Les terres agricoles du pays, plus ou moins dévitalisées, subirent un assaut sans précédent. Plus besoin de cultiver ou de produire quoi que ce soit. Seuls devaient pousser hôtels, piscines et marinas, touring-­clubs et auberges de jeunesse villages-vacances et casi­nos, bateaux-à-frites et musées de rivage…
 
Patrick Chamoiseau, Bibliques des derniers gestes, p. 700-701, Gallimard, 2002.
Parce qu’une belle lecture m’a ramené pour quelques pages à mes propres origines (l’île bien surnommée des revenants), peu après avoir pris connaissance chez Dominique Hasselmann du manifeste de neuf intellectuels antillais pour “des sociétés post-capitalistes”.




Commentaires

texte fort actuel :)
Commentaire n°1 posté par Gondolfo le 27/02/2009 à 09h54
Oui, tout ça n'est pas né d'hier.
Commentaire n°2 posté par PhA le 27/02/2009 à 10h15

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire