Et toi, demande Karl ? Je traduis un livre fuyant, un livre qui vous file entre les doigts, Soulages a dit que dans sa forme il y a l’inattendu, l’imprévisible, l’insaisissable, comme dans la toile en train de se faire, tu ne devinerais pas de quoi il parlait et crois-moi, il en connaissait un rayon, il était peintre et ancien troisième ligne, il parlait de la forme, du rebond déroutant du ballon de rugby qu’il comparait à la création. La peinture j’y connais que tchi mais le rugby, j’ai joué troisième ligne moi aussi, j’ai dû arrêter, les affaires…
Et toi, demande Karl ? Je traduis un bouquin vagabond qui saute du pope aux mouches, des mouches à l’étiquette, de l’étiquette à elle, d’elle à la libraire, de la libraire à la vieille femme, un livre sur les livres, sur la traduction, la phrase de Soulages je l’ai reprise dans mon dernier article, si je dis traduction tu penses quoi, comme ça, sans réfléchir, tu penses trahison, bien sûr, or elle ne trahit rien, la traduction, elle rebondit d’une langue à l’autre, d’un rien à l’autre, comme le ballon elle rebondit où personne ne l’attend, elle surprend elle distord, elle déforme elle reforme, elle fait voir les choses autrement, les lettres et les mots, le monde, autres signes autres formes, autre univers, elle crée, recrée, innove, mais je m’emballe, je pousse un peu, excuse-moi si je t’ennuie avec mes histoires. Laisse-moi deviner, tu parles plusieurs langues, trois? cinq peut-être ? Pas besoin de connaître la langue pour traduire. Tu plaisantes ! les livres tu les lis comment ? Je ne les lis pas vraiment. Alors tu inventes ? Ah non, je n’invente rien ! je n’ai aucune imagination.
Camille Révol, bricolage[s], éditions Louise Bottu, p. 202-203
Et ça vient tout juste de sortir. Tu sais pourquoi je vous recopie ce passage ? Bien sûr, c’est parce que le temps me manque, et aussi parce que la fièvre ne veut pas me lâcher. Mais surtout, c’est parce que ce passage, c’est une excellente présentation de bricolage[s]. Évidemment, comme ça, vous ne pouvez pas vérifier, vous devez juste me faire confiance. N’empêche, lisez-le et vous verrez bien que j’ai raison.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire