lundi 15 septembre 2025

Le Contrat, par Franquin et Kafka, épisode 79

Messerschmied cette fois encore ne tarda pas à retourner chez Brunnen. Sans doute était-ce lui qui, dans sa fébrilité, avait sans s’en rendre compte déchiré le contrat qu’il venait de signer ; il était tellement nerveux, tellement impulsif ; il lui arrivait parfois de douter du contrôle de ses propres mouvements. On verrait bien. Sans même prendre la peine d’appeler chez Brunnen pour prendre rendez-vous avec Monsieur Schlehe, il prit un exemplaire du contrat sous le bras, son pardessus sous l’autre, et il se rendit chez Brunnen. Arrivé à l’étage où se trouvait le bureau de Monsieur Schlehe, il aperçut ce dernier, au bout du couloir, qui le vit à son tour et, tout balbutiant, le salua. Monsieur Schlehe avait l’air effrayé, épouvanté, même. Qu’est-ce donc qui pouvait le mettre dans un état pareil ? On aurait dit que c’était la présence même de Messerschmied. Or, à l’instant même où Messerschmied s’apprêtait à saluer Monsieur Brunnen, une porte s’ouvrit, et une tête en surgit, que Messerschmied ne put ne s’empêcher de reconnaître sur-le-champ. En effet c’était la sienne, sa propre tête, mais il ne s’était jamais rendu compte à quel point celle-ci était, à proprement parler, monstrueuse : son crâne chauve, sa peau jaunâtre et ridée, semblable à du vieux cuir, sa moustache ébouriffée et, sur son nez trop long, ses grosses lunettes dont il avait pourtant avec tant de soin choisi la monture. C’était donc cela que les gens voyaient de lui ? Tel était le spectacle qu’il imposait à autrui par sa simple présence ? C’était plus qu’il ne pouvait en supporter. Messerschmied disparut aussitôt, sans donner la moindre explication : il ne lui restait qu’à se cacher, à lui-même comme au reste du monde.

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