lundi 9 novembre 2015

Pascale Petit, une inconnue ou deux




Je me rappelle ne rien voir encore et me le dire alors que nous étions à quelques centaines de mètres du Grand Canyon. Ou plutôt une phrase qui passe et repasse sous mes yeux tandis que je lis l’équation du nénuphar de Pascale Petit me le rappelle :



l’homme regarde dans la chambre avec cet air qu’on a quand on regarde dehors par la fenêtre d’une chambre d’une seule ville je ne vois toujours pas le grand canyon



Et l’idée, quelque chose comme C’est l’inverse d’un monument, le grand Canyon, me traverse l’esprit ; cette grande faille dans la plaine qu’on ne voit que lorsqu’on est au bord, quelque chose comme l’envers de Monument Valley. Et d’un coup je me demande (je me demande n’est pas la bonne phrase, il vaudrait mieux dire on me demande mais la demande se fait à l’intérieur de moi-même) de quoi l’équation du nénuphar est-elle l’inverse ?

Mes compétences mathématiques ne sont pas à la hauteur. Quelque chose manque. Fait défaut. Fait faute.



l’idée s’insinue que fabriquer un alibi sera nécessaire et qu’il faudra le plus grand nombre de témoins pouvant certifier vous avoir vu



(p. 83)



L’équation du nénuphar, tout de même, préexiste à l’équation du nénuphar.



« L’équation du nénuphar illustre bien le phénomène de la croissance dans un milieu fermé. Imaginons un nénuphar planté dans un grand lac qui aurait la propriété héréditaire de produire, chaque jour, un autre nénuphar. Au bout de trente jours, la totalité du lac est couverte et l’espèce meurt étouffée, privée d’espace et de nourriture. Question : Au bout de combien de jours les nénuphars vont-ils couvrir la moitié du lac ? Réponse : non pas 15 jours, comme on pourrait le penser un peu hâtivement, mais bien 29 jours, c’est-à-dire la veille, puisque le double est obtenu chaque jour. Si nous étions l’un de ces nénuphars, à quel moment aurions-nous conscience que l’on s’apprête à manquer d’espace ? Au bout du 24ème jour, 97% de la surface du lac est encore disponible et nous n’imaginons probablement pas la catastrophe qui se prépare et pourtant nous sommes à moins d’une semaine de l’extinction de l’espèce… Et si un nénuphar particulièrement vigilant commençait à s’inquiéter le 27ème jour et lançait un programme de recherche de nouveaux espaces, et que le 29ème jour, trois nouveaux lacs étaient découverts, quadruplant ainsi l’espace disponible ? Et bien, l’espèce disparaîtrait au bout du … 32ème jour ! »



C’est l’équation du nénuphar expliquée par Albert Jacquard dans l’équation du nénuphar d’Albert Jacquard. Albert Jacquard était un nénuphar particulièrement vigilant qui nous a quittés il y a deux ans.

Quand je disais qu’il y a quelque chose qui manque.

Mais dire cela ne dit pas que l’équationdu nénuphar de Pascale Petit, qui n’est pas publiée par Calmann-Levy comme l’équation du nénuphar d’Albert Jacquard mais par les éditions Louise Bottu, qui n’est pas non plus un essai mais plutôt, s’il fallait à toute force lui trouver un genre, un poème, est aussi un livre d’amour. Un livre d’amour qui manque.



elle a les mains derrière elle appuyées contre le mur pas loin de l’embrasure    elle a la tête un peu en arrière



le désir    avec son regret en contrechamp qui fait ressortir l’absence



l’ombre portée de l’homme sur elle et on pense à deux boxeurs   elle ne le quitte pas des yeux comme si elle savait qu’elle ne devait pas le quitter des yeux    ne le quitte pas des yeux    ne le quitte pas des yeux   filature immobile   ne le quitte pas de yeux   prête à lui dire ce qu’elle attend de lui    prête à lui avouer tout    prête à lui donne un exemple



Un livre d’amour qui manque à votre bibliothèque peut-être aussi.

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