mardi 5 mars 2013

Enig Marcheur et la langue en morts-sots


Voilà, j’ai donc lu Enig Marcheur, de Russell Hoban, dans la traduction de Nicolas Richard, il fallait le faire, et dans la superbe édition de Monsieur Toussaint Louverture : l’objet lui-même est une petite merveille. La traduction, oui, il fallait la faire et le faire puisque le livre n’est pas traduit de l’anglais en français mais du riddleyspeak en parlénigm.
Dans un futur lointain et post-apocalyptique, le monde entier n’est plus que débris, et la langue elle-même est en morts-sots. Ce n’est pas que la dégradation d’une langue parlée par des hommes revenus à l’âge de fer (c’est cela aussi) ; c’est la contamination dans le langage lui-même d’une obsession partagée par tous de la fission. On a oublié les sources des Nergies qui a causé le Grand Boum, mais on n’a pas oublié qu’il avait été question de diviser l’indivisible. Dans une nouvelle mythologie des origines, notre Adam et notre atome ont fusionné en un Adom le Ptitome, dont le destin est d’être écartelé. Cette 2alité qui hante l’esprit de chaque homme se retrouve dans la fission de la langue, une phonétique qui réinvente les racines des mots et double ainsi les interprétations possibles, comme j’essaie de vous le montrer par mes exemples de parlénigm, dont au bout de ma lecture j’ai fini par retenir quelques birbs.
Dans ce monde – réduit pour nous à un Kent où Canterbury est Cambry – le pouvoir (très relatif) est détenu par des maris honnêtis qui, la main dans leurs pantins de bois, tentent de perpétuer et d’interpréter le Grand Boum, les causes de l’état dans lequel se trouve le monde. Emplis de la honte de ce qui s’est passé et d’être condamnés à ne jamais revenir à la hauteur des ancêtres qui avaient des bateaux dans lésert, ils tentent de redécouvrir le secret des Nergies. Enig, le narrateur, suit sa route et son destin – ses sentiments et sa conscience que le hasard n’existe pas bien davantage que sa raison –, se lie d’amitié sans comprendre comment avec les chiens qui jusque là dévoraient les hommes, et devient le premier nouvel écrivain.
La langue pourrait rebuter mais non, pas du tout : elle est partie intégrante et essentielle du projet et l’on s’y fait très vite. Le rôle que lui fait jouer Russell Hoban est essentiel comme la langue est essentielle à la littérature, et lorsque l’on tombe sur un passage rédigé en français d’aujourd’hui – qui précède immédiatement celui que j’ai cité hier – et que celui-ci est réinterprété à l’aune du parlénigm et des connaissances lacunaires des personnages, on touche à quelque chose de vertigineux et d’émouvant – et l’on tire son chapeau au traducteur, Nico-Larry Char, qui a su nous conduire sur ces routes improbables.


http://www.monsieurtoussaintlouverture.net/image/Enig/Faux_livre_Enig.jpg

 

Commentaires

Je crois que pour moi, il en sera de ce livre comme des vôtres. La peur de ne pas savoir les lire... Hâte de vérifier.
Commentaire n°1 posté par Michèle P le 05/03/2013 à 13h24
N'ayez pas peur. Il fait noir mais on vous tient la main.
Réponse de PhA le 05/03/2013 à 18h50
Vais me le chercher samedi. Où comment on ne sait pas résister à la tentation non exagérement médiatisée... ;-)
Merci pour ce bel article.
Commentaire n°2 posté par Virginie_H le 05/03/2013 à 14h20
C'est bien de savoir ne pas résister à la tentation !
Réponse de PhA le 05/03/2013 à 18h51
Ajouter que j'ai bien aimé lire le parlénigm de Dominique Hasselmann en réaction à l'image de votre précédent billet... :)
Commentaire n°3 posté par Michèle P le 05/03/2013 à 18h11
Il faut l'appeler pour lui dire. Dos Mini Cassé l'Mann !
Réponse de PhA le 05/03/2013 à 18h57
Vertigineux aussi le travail de "Nicolas Richard" ?!
Je pense que la jeune génération n'aura aucun mal à lire à cet ouvrage; pour ma part je craindrais l'amig reine (0_0)! Cependant, la lecture faite à haute voix via votre lien est convaincante. Un roman prémonitoire sur le devenir de la langue? Intéressant en tout cas. Merci de nous le faire découvrir.
Commentaire n°4 posté par Ambre le 05/03/2013 à 18h31
Oh oui, vertigineux. Et dans ce passage-là tout à fait étonnant, pour rendre compte des couches de signification superposées par le téléscopage de plusieurs mots dans un seul, qui ne peuvent évidemment pas passer tels quels d'une langue à l'autre. Je vous assure que vous n'avez pas à craindre l'amie graine qui ne vous veut que du bien.
Réponse de PhA le 05/03/2013 à 19h06
@ Ambre
Ambre, je me permets de vous saluer. Nous avions sympathisé chez Solko, si vous vous rappelez, et nous étions promis des crêpes si nous faisions certaines lectures... Depuis vous avez créé un blogue que j'ai découvert il n'y a pas longtemps (lien chez notre ami Dominique Chaussois dont le nom aujourd'hui serre la gorge).
Commentaire n°5 posté par Michèle P le 05/03/2013 à 18h43
@ Michele P.
Solko oui je me souviens, j'avoue avoir été obligée de me limiter pour mes blogs favoris pour ne pas passer mes journées sur Internet.
Des crêpes... liées à la littérature? J'ai la mémoire qui flanche (je parle sérieusement).
Commentaire n°6 posté par Ambre le 05/03/2013 à 20h52
Oui il s'agissait de payer des crêpes à celle qui lirait en entier La Recherche et puis l'Ulysse de Joyce. Pour Joyce, vous m'aviez dit : je vous offre les crêpes tout de suite :)
Je vous soupçonne d'avoir oublié tout ça :) C'est marrant comme dans les échanges au fil des ans, les souvenirs des uns et des autres ne sont sûrement pas les mêmes, chacun poursuivant sa route, riche de mille birbs :)
Commentaire n°7 posté par Michèle P le 05/03/2013 à 21h25
Oh je suis désolée. je m'en souviens maintenant que vous me le dites. Du coup je me souviens de plein de trucs chez Solko. Je suis une "lâcheuse".  Mais il faut savoir que j'ai de longues périodes où je ne commente plus (même ici) ce qui ne m'empêche pas de lire tous les billets, sans lire les commentaires de mes blogs favoris... qui se comptent aujourd'hui sur les huit:)) doigts d'une main tout de même.
Voilà.
Commentaire n°8 posté par Ambre le 05/03/2013 à 22h01
@Ambre, encore :)
Ne vous inquiétez pas je crois que les choix font partie de la vie et il est moultes blogues que je porte dans mon coeur sans les fréquenter assidûment.
Je recherchais où j'avais vu le lien vers votre blogue et me demandais si je perdais la boule puisque dans vos signatures de commentaires vous ne mettez jamais le lien. Ni ici, ni chez Depluloin. En fait c'est dans le corps de votre commentaire chez Philippe Annocque, à propos du pont Firmin. Adresse à laquelle écrivait Edmond, son "jeune grand-père".
Commentaire n°9 posté par Michèle P le 05/03/2013 à 22h11

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