Non, nous n’avons
jamais été amazones du roi du Dahomey, ni princes de Ghana avec
huit cent chameaux ni docteurs à Tombouctou Askia le Grand étant
roi, ni architectes de Djenné, ni Mahdis, ni guerriers. Nous ne
sentons pas sous l’aisselle la démangeaison de ceux qui tinrent
jadis la lance. Et puisque j’ai juré de ne rien celer de notre
histoire (moi qui n’admire rien tant que le mouton broutant son
ombre d’après-midi), je veux avouer que nous fûmes de tout temps
d’assez piètres laveurs de vaisselle, des cireurs de chaussures
sans envergure, mettons les choses au mieux, d’assez consciencieux
sorciers et le seul indiscutable record que nous ayons battu est
celui d’endurance à la chicotte...
Et ce pays cria pendant
des siècles que nous sommes des bêtes brutes ; que les
pulsations de l’humanité s’arrêtent aux portes de la nègrerie ;
que nous sommes un fumier ambulant hideusement prometteur de cannes
tendres et de coton soyeux et l’on nous marquait au fer rouge et
nous dormions dans nos excréments et l’on nous vendait sur les
places et l’aune de drap anglais et la viande salée d’Irlande
coûtaient moins cher que nous, et ce pays était calme, tranquille,
disant que l’esprit de Dieu était dans ses actes.
Aimé Césaire,
Cahier d'un retour au pays natal.
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