dimanche 23 février 2014

Mon jeune grand-père (27)

Dans la main avant même de la lire cette carte-ci me frappe par sa couleur, beaucoup moins jaunie que les autres. Pourtant c’est le même modèle. Du coup je la retourne, comme la plupart elle est adressée à Madame Annocque alors que j’ai pu voir que le texte commençait par le rituel « Mes chers parents », les indications en allemand sont les mêmes me semble-t-il, mais oui :
Absender :
Sous-lieutenant Edmond Annocque
Stübe 77a (si je je lis bien)
Offiziergefangenenlager Reisen in Posen
et une ligne de vagues en dessous. « In Posen », quand même. Je fais la recherche que je n’avais pas encore faite, plus pressé de lire le contenu des cartes ; c’est Poznan, en Pologne, « Posen » en allemand qui n’en avait plus pour longtemps à rester allemande. Voilà. Mon jeune grand-père prisonnier en Allemagne était prisonnier en Pologne mais cette Pologne-là était allemande en 1917 et jusqu’en 18. Je ne m’en étais pas vraiment soucié. Quand on est emprisonné il me semble qu’on n’est pas vraiment quelque part.
  Le 4 avril 1917. Mes chers parents.
J’ai reçu les cartes de papa des 15, 16 et 17 et la lettre de maman du 18 et aussi une carte de l’oncle Desmaretz (voilà : c’est le nom de l’oncle que je n’arrivais pas à lire sur la carte du 30 mars. Ça ne me dit rien. Ça ne me dit rien parce que mon jeune grand-père n’a jamais été grand-père. Même père il ne l’a pas été longtemps.) mais il n’y a pas de date dessus. Il me dit qu’il est toujours en bonne santé ainsi que toute sa famille, à part cela il ne me raconte rien de nouveau. Evidemment « rien de nouveau » résonne à l’oreille du professeur de français qui fait souvent étudier le livre de Remarque. Le cap B remercie papa des nouvelles qu’il lui donne. Je comprends que vous ayez été heureux de la bonne carte du Ct. Il est très gentil d’avoir répondu lui-même et je regrette qu’il n’ait pu revenir avec nous. (La suite est écrite d’une pointe légèrement moins fine, on devine qu’Edmond a gommé et réécrit ce passage.) Si tu lui réponds dis-lui que nous pensons toujours bien à lui et que nous lui envoyons nos meilleures amitiés. J’espère que Louis a passé une bonne permission et qu’il vous sera arrivé en bonne santé. Comme vous avez dû être tous heureux de sa venue. J’ai fait mes Pâques ce matin. Un prêtre d’un camp voisin est venu hier et aujourd’hui c’est tout ce qu’il pouvait, enfin cela vaut mieux que pas du tout. Ici le beau temps a l’air d’être enfin revenu, quoiqu’il ait encore neigé cette nuit, mais cette après-midi il fait un beau soleil on a plaisir à faire de longues flâneries dans le parc. Je n’ai reçu aucun colis (ici un ou plusieurs mots sont surchargés en violet sur environ deux centimètres, on ne peut pas deviner ce qu’il y a en dessous. Ça n’est pas de la main d’Edmond puisqu’il écrit au crayon à papier mais je ne vois pas ce que la censure peut trouver à censurer, peut-être que je manque d’imagination) pas trop d’importance pour le moment car nous avons de quoi attendre quelque temps. J’ai repris les leçons d’anglais qui avaient été suspendues pendant quelque temps.
  Je vous quitte mes chers parents en vous embrassant bien fort tous les deux ainsi que Geneviève et Louis, Madeleine et Jean et toute la famille.
Votre fils qui vous aime de tout son cœur. Edmond

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