mercredi 30 juin 2021

Nous allons perdre deux minutes de lumière

c’est incroyable tout ce qu’on peut faire entrer dans un poème. en gare de Bordeauxles graffs semblent flotter au-dessus du ballast. odeur de saucisson. je saisis au vol un fragment de conversation. ne t’inquiète pas pour nous. plus loin des grumes débardées sur un chargeoir. c’est beau. des arbres partout. qu’y a-t-il de plus proche de l’idée de nous qu’une vraie forêt. je suis caché dedans. et toi. et toi aussi. même si cela ne se voit pas nous changeons de département. le ciel est bleu les maisons sans ascenseur. et il y a les montagnes. geste gracieux de la main. une cloche d’ici sonne pile 19 heures. j’écoute le bruit blanc en contrebas du torrent permanent. c’est la différence entre je et nous. comment peut-on penser ensemble. comment peut-on ne pas. même un ange passe. et pour m’aider à terminer le premier chant de ce poème je reçois des SMS de mes deux garçons. A. m’écrit j’ai bien joué au théâtre j’étais Lucky Luke et Camille Pikachu. gros bisous. M. me dit je me sens mieux. hier j’ai pris un bain d’avoine c’était confortable. gros bisous.

Frédéric Forte, Nous allons perdre deux minutes de lumière, POL, 2021.



lundi 28 juin 2021

La fille que ma mère imaginait

On pourrait facilement passer à côté d’un premier roman publié chez un nouvel éditeur. On pourrait facilement passer à côté de la Fille que ma mère imaginait, le premier roman d’Isabelle Boissard, publié par la toute nouvelle collection Les Avrils. Ce serait dommage – en tout cas ça aurait été dommage pour moi. En le regardant d’un peu loin, on pourrait dire qu’il y a deux sujets, presque deux romans, dans ce roman. L’expatriation du conjoint qui suit son conjoint est le premier. Une sorte de moule, une invitation à se conformer, comme si la chose allait de soi. À la troisième expatriation, de soi elle va de moins en moins ; les secousses sismiques de Taïwan donnent corps à une secousse intérieure. Et puis presque aussitôt c’est le retour provisoire et brutal : voici que la narratrice est rappelée en France au chevet de sa mère. Et c’est un retour au passé aussi. Un renvoi à celle qu’on a été, qu’on n’est plus ; la narratrice est ce qu’elle appelle elle-même une « trans-classe ». Car la question essentielle que pose ce roman est précisément la question essentielle : qui est-on ? Entre la mort du père pendant l’enfance modeste et l’oisiveté du « conjoint suiveur », femme dans quatre-vingt-dix pour cent des cas, qui est celle qui note ses pensées dans son carnet en moleskine ? Aucune complaisance dans la manière dont sont rapportées les pensées de la narratrice, que ce soit à propos des fantasmes engendrés par l’écrivain mâle qui anime l’atelier d’écriture auquel elle participe, ou de l’oubli assumé de ce que ça fait vraiment de perdre son père quand on a juste dix ans. Isabelle Boissard a ce talent auquel je suis si sensible, celui de sculpter la mauvaise conscience, les pensées répréhensibles, avec son burin d’humour. Une belle réussite.




dimanche 27 juin 2021

Brèves animales (49)

Et ne t’étonne pas de la queue du castor : il faut bien que la tortue rentre sa tête dans sa carapace.




samedi 26 juin 2021

Brèves animales (48)

Le canard n’en revient pas de cette défense de narval plantée parmi les plumes de sa queue.




vendredi 18 juin 2021

Sez Ner

Sez Ner est une montagne, Sez Ner est un alpage, Sez Ner est un roman d’Arno Camenisch qui, avec Ustrinkata (dont j’avais parlé ici) et Derrière la gare (dont j’avais parlé là) constitue le « cycle grison » – les Grisons dont l’auteur, de langue romanche même s’il écrit principalement en allemand, est originaire. Situés dans le même univers, les trois romans (qui se lisent indépendamment les uns des autres), n’en sont pas moins très différents dans leur tonalité : plutôt crépusculaire pour Ustrinkata, aux couleurs de l’enfance pour Derrière la gare, tout simplement « vert » pour Sez Ner, aurait-on envie de dire.

Dans Sez Ner, les personnages, du moins les quatre principaux, n’ont pas de nom : c’est leur fonction qui en fait office. Il y a l’armailli, l’aide-armailli, le vacher, le porcher. Les bouèbes. Je vous laisse chercher, Google est là pour ça. C’est dans leur travail qu’ils sont saisis, mais c’est un travail qui est une vie aussi. J’ai envie de rajouter, car c’est le cas pour eux aussi, le Vieux Gris, et aussi le Pignouf, qui ont des noms, tiens ; sans doute parce qu’eux, ce sont des chiens. L’un d’eux, tout de même, est un personnage tragique. Car s’il n’y a pas à proprement parler de récit dans Sez Ner, qui se présente plutôt comme une collection d’instantanés invitant le lecteur dans l’immédiate intimité des hommes et des bêtes (des vaches surtout, un bélier, des porcs bien sûr, des poules…), il y a quand même, non dite mais très sensible, une tension, oui, une tension tragique.

Les livres d'Arno Camenisch sont traduits par Camille Luscher et publiés par Quidam.



mercredi 16 juin 2021

Mon petit DIRELICON et Les Singes Rouges en Charybde...

 … C’est ce soir à 19h30, à la librairie Charybde qui fête son dixième anniversaire, à Ground Control, derrière la Gare de Lyon, 81 du Charolais.



dimanche 6 juin 2021

Tes ombres sur les talons

Ah si, quand même ! J’ai trouvé le temps de lire Tes ombres sur les talons, le nouveau roman de Carole Zalberg, un beau récit en forme de V ; entendez qu’on commence par descendre pour remonter ensuite. Une très jeune femme se perd, on la suit qui se perd, on aurait envie de lui dire qu’elle se trompe, non, Melissa, ce n’est pas par là. Et puis, quand vraiment elle n’est plus du tout elle-même – car il y a des moments, dans la vie, où l’on n’est plus du tout soi-même –, un chemin se dessine. C’est un récit très progressif, très attentif à ce qui se passe en soi, très émouvant.