samedi 24 mai 2025

Souvenirs de ma mère, Les Singes rouges, 7 "Donner une fleur au monsieur mort"

En plein milieu de la nuit à 4h36 ils lui ont téléphoné pour lui dire de ne pas s’inquiéter que sa mère était tombée alors il est sorti à pied et il est allé en plein milieu de la forêt en fait juste à l’orée mais il préfère dire en plein milieu mais contrairement à la dernière fois il n’y avait rien dans la forêt.


En plein milieu de la nuit, à 4h36, ils lui ont téléphoné pour lui dire de ne pas s’inquiéter, que sa mère était tombée, alors il est sorti à pied et il est allé en plein milieu de la forêt, en fait juste à l’orée, mais il préfère dire en plein milieu, mais, contrairement à la dernière fois, il n’y avait rien dans la forêt.



Donner une fleur au monsieur mort



Un jour il lui a demandé de raconter son souvenir le plus ancien. Il attendait un souvenir de Guyane. Il ne s’était pas vraiment posé la question mais forcément ce serait un souvenir de Guyane, puisqu’elle l’avait quittée à sept ans, et qu’il lui avait demandé son souvenir le plus ancien. Il avait envie d’un souvenir de Guyane, parce qu’il savait déjà que ses souvenirs de Guyane étaient beaux, et précieux.

Et là, elle lui a dit, sans pouvoir l’expliquer, que son souvenir le plus ancien était de Martinique.


C’est un souvenir très net, mais très isolé. Elle se souvient de ce qu’on lui a dit, de ce qu’on a dit à la toute petite fille qu’elle était. Il fallait qu’elle cueille une fleur, et qu’elle la mette dans les mains jointes de Monsieur Laudarin. Monsieur Laudarin, elle précise, c’était le mari de Tante Mence. Il pense qu’il faut écrire « Mence » car c’est le diminutif de Clémence. Elle précise encore : Tante Mence, c’était la sœur cadette de sa grand-mère.

Une peau de vache. (Encore une précision.)

Elle rit.

Ce sont des personnes qui ont vécu il y a très longtemps. Qui ont dû naître dans les années 1860, 1850 peut-être. Ce serait facile de vérifier.


Ce livre n’est pas que l’histoire de la traversée d’un océan, non. Ou alors, un océan d’années aussi.


Un océan d’années après, ce souvenir-là est encore vivace : cueillir une fleur et les mettre dans les mains jointes de Monsieur Laudarin. Dans les mains mortes de Monsieur Laudarin.

« Monsieur Laudarin », c’est comme ça qu’on appelle l’homme mort étendu sur le lit. Exposé sur le lit.

Le premier souvenir d’une vie est le souvenir d’un mort.




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire