mardi 28 octobre 2025

Le Contrat, par Franquin et Kafka, épisode 85

Messerschmied retrouva le chemin qui le ramenait chez Brunnen – à moins que ce ne fut le chemin qui menait chez Brunnen qui retrouva Messerschmied. C’était un soir, encore une fois, après la fermeture des bureaux, que Monsieur Schlehe lui avait redonné rendez-vous ; ce dernier paraissait croire que, si les bureaux étaient vides, le contrat pourrait être signé sans problèmes. La conviction de Monsieur Schlehe ne parvenait toutefois pas à tirer Messerschmied de sa morosité. Et Messerschmied ne fut qu’à moitié surpris lorsque, arrivé devant la porte du petit salon où Monsieur Schlehe comptait lui faire signer le contrat, celui-ci eut la stupéfaction de voir tous les meubles dans le couloir : on avait fait le vide dans la pièce. La pièce était vide. La présence de Messerschmied était vide de sens. Il ne restait plus qu’à vider les lieux.

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Pour mémoire, le Contrat est une adaptation des mésaventures de Monsieur de Mesmaeker, personnage récurrent dans les albums de Gaston Lagaffe de Franquin, à travers le prisme Kafka. Car Kafka est un prisme, et de Franquin à Kafka, il n’y a qu’un pas.




lundi 27 octobre 2025

Souvenirs de mon père, 53 (la libération d’Arras, 2)

Tu es redescendu (de la Kommandantur), les Allemands avaient donc filé par l’autre côté. Vous les avez poursuivis dans la rue des Trois Visages où ils s’étaient engouffrés, en direction de la cathédrale. Les jeunes FFI, totalement inexpérimentés, ont eu la malencontreuse idée de vouloir lancer une grenade sur les Allemands un peu plus loin. Elle a ricoché contre un rebord de fenêtre et elle a explosé en faisant voler en éclats les vitres du 63, la maison de Tata, les vitres de la grande baie vitrée qu’il y avait sur le devant, juste au moment où la locataire de Tata (qui louait le grand salon dont Victorine a fait sa chambre plus tard), affolée par les tirs, voulait baisser le rideau de fer. La manivelle était tombée par terre, elle s’était baissée pour la ramasser et c’est à ce moment-là que les éclats de la grenade sont passés juste au-dessus sa tête, par la fenêtre. Si la manivelle n’était pas tombée, elle était tuée. Elle l’a échappé belle !

Vous avez poursuivi les Allemands dans la cathédrale, ça tirait de tous les côtés, comme à Notre-Dame à la Libération, mais là par contre vous voyiez les Allemands. Mais vous n’avez jamais réussi à les atteindre. Finalement, vous avez arrêté la poursuite et vous vous êtes réorganisés.



samedi 25 octobre 2025

Souvenirs de ma mère, 20 (les Singes rouges) : Cayenne, années 30

 Cultiver son jardin


Ils n’ont pas dû rester plus d’un an à Régina.

Ils sont revenus à Cayenne et c’est là qu’ils ont emménagé à la douane. La douane, c’était un long bâtiment rectangulaire. Il fallait monter un escalier et suivre un long couloir vide. Tout au bout, il y avait l’appartement où ils habitaient, au-dessus de la douane. C’était un logement de fonction, mais ses parents avaient quand même acheté des meubles, en rotin. Elle revoit le salon, elle revoit sa chambre, avec une moustiquaire. Il y avait plein de moustiques.


On ne disait pas des moustiques, on disait des maringouins.


Il y avait un escalier extérieur qui donnait directement sur un jardinet, derrière les bureaux de la douane. Son père s’efforçait d’y faire pousser des légumes.

Il détestait la campagne mais il trouvait que ça ne servait à rien de faire pousser des fleurs.

Ses légumes étaient dévorés par les fourmis manioc. Elles se dressaient sur leurs pattes pour vous mordre avec leurs grandes mandibules. Ça faisait plus mal qu’une piqûre. Les ignames étaient tout bouffés. Son père pestait, il était du genre à pester. Il tapait du pied sur le sol.


Les Singes rouges, Quidam éditeur



lundi 20 octobre 2025

Le Contrat, par Franquin et Kafka, épisode 84

Messerschmied mit un certain temps à retrouver le chemin des établissements Brunnen. Un jour vint cependant où il s’y trouva de nouveau. Il était revenu comme par instinct. Pourtant, une fois sur place, il se sentit perdu. Il ne savait plus où se rendre. Aussitôt, cachant son angoisse sous son habituel masque de colère, il voulut en sortir, et au plus vite. Mais même le chemin de la sortie lui paraissait introuvable.

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dimanche 19 octobre 2025

Souvenirs de mon père, 52 (la libération d’Arras, 1)

« Tu n’as pas vraiment raconté la Libération d’Arras. » « Tu crois qu’il faut que je la raconte ? »

A Arras, ça s’est mis à tirer de tous les côtés. Vous saviez que les Anglais étaient tout près. Ce sont les FFI qui ont déclenché la bataille. Ils se sont mis à chasser les Allemands partout. Mais ils n’ont pas résisté comme à Paris, ils ont été pris d’une sainte trouille et les trois quarts du temps ils fuyaient partout. Tu as réussi à rejoindre un groupe de résistants qui essayait d’atteindre le beffroi où les Allemands s’étaient réfugiés. Le beffroi d’Arras, c’était l’hôtel de ville, et c’était devenu le siège de la Kommandantur. Vous avanciez de pilier en pilier, sur la petite place, pour éviter les balles des Allemands. Toi, tu n’avais rien pour tirer ; tu suivais le groupe. Tu es arrivé derrière le chef des résistants au moment où il abattait un jeune soldat allemand, juste à l’entrée du beffroi. Vous avez vu que ça ne tirait plus, il s’est précipité à l’intérieur, tu l’as suivi. Là tu as trouvé des armes. Tu as un ramassé un revolver des Allemands, par la suite tu as pris un fusil. Les Allemands se débinaient par la porte, par les fenêtres de l’autre côté. Toi tu es monté au premier étage de la Kommandantur pour voir s’il n’y avait pas encore des Allemands là-haut. Il n’y en avait pas. Tu as vu le bureau. Il y avait un immense portrait d’Hitler, tu l’as décroché et tu as passé ton poing au travers.



samedi 18 octobre 2025

Souvenirs de ma mère, 19 (les Singes rouges) : Régina, Guyane française, 1933

 Manger


Ils mangeaient souvent du gibier. C’étaient des Bosch qui en apportaient à son père. Elle ne peut pas préciser de quels animaux il s’agissait. Elle se souvient que son père mangeait du serpent mais elle ne croit pas en avoir mangé. C’était lui qui dépeçait ou plumait le gibier, sa mère ne s’occupait pas de ça.

Ils mangeaient souvent du poisson, aussi. Et des écrevisses, très souvent. Elle se revoit une fois avec de l’écrevisse même pas décortiquée dans la bouche ; elle était sortie en courant pour aller admirer un bateau qui passait sur le fleuve. Un bateau c’était rare, c’était un événement. Il faisait de la fumée blanche. C’était beau à voir.

Ils mangeaient des fruits et des légumes, aussi. Elle se souvient qu’ils mangeaient des sapotilles. Plus tard en Martinique elle ne se rappelle pas avoir mangé des sapotilles. Et les légumes, les fruits à pain, les ignames, les choux de Chine ; elle se souvient que quand elle est arrivée en Martinique ils lui paraissaient petits, à côté de ceux de la Guyane.


Lui il n’a jamais mangé de serpent. Il n’a jamais mangé de sapotilles. Il n’a presque jamais mangé d’écrevisses.


Les Singes rouges, Quidam éditeur.



























mercredi 15 octobre 2025

Mon classique du mercredi : l’œillet (7), de Francis Ponge

Mon classique d’aujourd’hui me revient grâce à mon billet d’hier, où Bruno Fern me renvoyait à la relecture (entre autres nombreuses lectures et relectures) de l’œillet, de Francis Ponge, dans la Rage de l’expression. Cette relecture m’a rappelé qu’il fut un temps, lointain et indéterminé, comme dans les contes de fées, où je connaissais par cœur cette très brève section 7 que je vous relis ici, rien que pour le plaisir de l’avoir de nouveau en bouche. J’offre cet œillet, qu’elle le cueille ou non, à une dame charmante avec qui j’ai eu le plaisir de bavarder récemment, et qui se trouve être la fille du poète.



mardi 14 octobre 2025

Les machines à faire résonner la poésie de Bruno Fern

Depuis des années, Bruno Fern fait résonner la poésie. Et pour ce faire, il invente, il invente des machines à faire résonner la poésie. La poésie qu’il fait ainsi résonner peut être signée par d’autres noms que « Bruno Fern » ; ainsi l’on trouvera dans des tours ceux aussi bien ceux de François Villon ou Pierre de Ronsard que ceux de Christian Prigent ou Jean-Christophe Bailly, en passant par Rainer-Maria Rilke ou John Updike. On peut ne lire que les tours de Bruno Fern ; c’est ce par quoi j’ai commencé, dans notre manque commun de temps, et ça marche. Mais dès lors que la première lecture est terminée, on se rappelle que, par exemple :



la robe fouettée sous les projos

les paumes s’y baladent sy

métriques leur pâleur nickel intégralement

zoomable de bas résille en haut bâillon

gardé le temps qu’il faut en te

nue légère à l’œil et d’où jaillit


(Francis Ponge,

« L’œillet »,

in La Rage de l’expression)



Qu’est-ce donc que ce déshabillage ? On a compris en lisant la « FABRIQUE » liminaire que « d’où jaillit la robe fouettée » sont les mots empruntés à Ponge, et que si les paumes symétriques de Bruno Fern s’y baladent, c’est aussi pour hâter le strip-tease : un retour à la ligne en milieu de mot et voici la tenue légère « nue (…) à l’œil et d’où jaillit » le désir irrépressible d’ouvrir de nouveau cet œillet : depuis combien de temps ne l’avait-on pas relu ? Et me voici donc relisant tout l’œillet, retrouvant à la section 9 le dernier vers amplifié par Bruno Fern, me rappelant que tiens, cette section 7, je la savais autrefois par cœur. Mais ce n’est pas tout ça : il faut maintenant que je relise la Première Elégie de Duino. On l’aura compris : lire ce petit livre de moins de cent pages peut prendre beaucoup de temps, et prendre ce temps c’est se rappeler qu’on n’écrit pas tout seul et que la poésie, la littérature, n’est que notre œuvre commune.

lundi 13 octobre 2025

Le Contrat, par Franquin et Kafka, épisode 83

Lorsque Messerschmied se décida à rendre une nouvelle visite aux établissements Brunnen, ce fut à l’improviste. Aurait-il su dire pour quelle raison profonde il avait tant de goût pour les visites à l’improviste alors qu’il lui avait toujours semblé détester l’imprévu ? Les employés qu’il croisa dans les couloirs ne lui portèrent aucune attention ; ils avaient tous l’air loin, très loin, très loin de Messerschmied. Et ils avaient l’air bien, loin de Messerschmied. Était-ce d’ailleurs précisément de Messerschmied qu’ils étaient loin ? N’était-ce pas plutôt de quelque chose à quoi Messerschmied n’aurait pas su donner de nom ? Les contingences, peut-être ? Absorbé par ses réflexions, Messerschmied n’avait même pas pensé à faire avertir Monsieur Schlehe de sa présence ; il ne pensait plus à Monsieur Schlehe et, lorsque Monsieur Schlehe, que quelqu’un sans doute avait dû prévenir de la présence de Messerschmied, arriva dans sa précipitation habituelle et dérisoire, Messerschmied avait parfaitement oublié le contrat ; ce n’était plus pour signer le contrat qu’il était là ; il était là, tout simplement ; Messerschmied était là.

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dimanche 12 octobre 2025

Souvenirs de mon père, 51

Pendant ce temps, tu t’efforçais d’envoyer des colis à ta mère et à ta sœur qui étaient vraiment dans la dèche à Paris (ou à Gretz ?). Il n’y avait rien à manger. Milou travaillait toujours à la DF. La DF a été fermée à la Libération, comme c’était une société qui travaillait pour les Allemands, cent pour cent germanophile, avec toute une direction germanophile. Elle a donc disparu à la Libération. Milou a dû faire toute sorte de travaux, elle a vendu des robinets sur les marchés, et puis elle est devenue aide ménagère – ça avait un autre nom à l’époque.

Après la Libération d’Arras, le 1er septembre 1944, tu as décidé de t’engager dans l’Aviation. L’Aviation a toujours été ton rêve. (Tu venais donc de passer un an à Arras, pour soigner ta pleurésie.) Tu es parti à vélo, avec une valise sur ton porte-bagages, pour retrouver ta famille à Paris. Tu avais dix-neuf ans.

Parisiens voyageant à vélo, Paris occupé par les Allemands, juillet 1940

samedi 11 octobre 2025

Souvenirs de ma mère, 18 (les Singes rouges) : Régina, Guyane française, 1933

 Comprendre ce que « sommaire » veut dire


Le soir, pour se distraire, ses parents jouaient aux cartes, à la lumière d’une lampe à pétrole. Il n’y avait pas l’électricité. Ils allaient acheter le pétrole chez le Chinois du rez-de-chaussée. La nuit tombait très tôt.

Non, il n’y avait pas l’eau courante non plus, tu plaisantes !

(Elle lui a souvent parlé de ses souvenirs de Guyane, mais pour Régina, elle n’est jamais rentrée dans les détails du confort. Elle disait juste que c’était « très sommaire ». Ça voulait dire que, par exemple, il n’y a avait ni eau courante ni électricité. Il ne s’en était pas avisé avant d’écrire ceci, sur son ordinateur.)

Pour la toilette ils avaient des cuvettes et des brocs ; certains d’ailleurs étaient assez jolis. Il devait sûrement y avoir un puits mais elle ne s’en souvient pas.

Pour faire leurs besoins, ils avaient des pots de chambre en terre cuite vernissée.


Les singes rouges, Quidam éditeur















Régina dans les années 30

mercredi 8 octobre 2025

Mon classique du mercredi : Salut, de Mallarmé

Ne pas comprendre immédiatement ce que je lisais (ou ailleurs, ce que je voyais, ce que j’entendais) m’a très vite stimulé ; j’aimais ça. Alors Mallarmé, forcément. Souvent je l’apprenais par cœur, lui aussi. Ce Salut n’est pas l’un des premiers poèmes que j’ai découverts de lui ; j’étais étudiant déjà quand j’ai lu à son propos une brillante étude de François Rastier. Pour l’anecdote, celle-ci m’a inspiré, des années plus tard, un cours de 3e que je me suis amusé à faire un jour d’inspection, convaincu que j’étais – que je suis toujours – qu’un travail universitaire valable doit pouvoir nourrir la réflexion même de jeunes élèves. Étudier Salut de Mallarmé paraissait un pari un peu fou ; parfois les fous gagnent leur pari.



mardi 7 octobre 2025

Avis de parutions automnales

Octobre. C’est l’automne : des feuilles tombent, des livres paraissent. On ne peut pas toutes les ramasser ni tous les lire ; certains, certaines méritent toutefois qu’on s’y arrête, d’autant plus que ces trois-là seront forcément très différemment délicieux.

Alors que résonnent encore les notes de sa Musique adorable, Chabrier malgré lui, paru chez MF en 2024, voici que Didier da Silva promène à présent ses doigts d’écrivain pianiste chez Trois Socrates Satie, Cage, Feldman, toujours chez MF.

Dans la collection contraintEs des éditions Louise Bottu, Bruno Fern propose des tours suivi de lignes et s’annonce très feuilleté (au sens où lire une page est aussi lire une autre page, et même ici lire une page d’un autre auteur, à en croire le protocole indiqué en quatrième de couverture, à en croire encore ce que je ne disais pas sur trois autres livres du même auteur, ici, , ou encore .

Et chez Quidam il y a un nouveau livre de Gabriel Josipivici : Le cimetière à Barnes, traduit de l’anglais par Vanessa Guignery. Je ne sais pas si vous connaissez Gabriel Josipovici. Vous devriez.



lundi 6 octobre 2025

Le Contrat, par Franquin et Kafka, épisode 82

Dès le lendemain, Messerschmied reçut de Monsieur Schlehe une invitation qu’il accepta aussitôt. Il avait retrouvé tout son calme. L’étrange exaltation qui l’animait la veille avait laissé place à une humeur maussade qui, il devait bien le reconnaître, était quotidiennement la sienne. Monsieur Schlehe l’accueillit avec son amabilité habituelle, sans parvenir toutefois à dérider Messerschmied. Monsieur Schlehe s’emporta violemment contre un subordonné qui, à l’entendre n’aurait pas dû être là ; c’était celui qui la veille avait accueilli Messerschmied, lequel ne fut pas fâché de l’expulsion de l’employé ; la perte de contrôle de soi de Monsieur Schlehe, dont les mots et peut-être même les gestes étaient sans doute allés au-delà de ses intentions, soulagea quelque peu Messerschmied. Puis Monsieur Schlehe entreprit d’imprimer un nouveau jeu de copies du contrat, mais ce qui sortit de la machine acheva de faire s’envoler le calme et les résolutions de Messerschmied.

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dimanche 5 octobre 2025

Souvenirs de mon père, 50 (bombardements sur Arras, printemps 1944)

Ce passage aussi est de sa main.


Tonton Henri et tante Solange, contre toute logique, espéraient encore revoir leur fils Henri. Mais, trois mois après le premier bombardement, en déblayant les ruines, des ouvriers retrouvèrent son corps sous une plaque de béton. Il avait été blessé une première fois et c’est pendant qu’il était en train de se faire un pansement qu’une grande plaque de béton lui était tombée dessus, le cachant complètement. Comme il était mort en portant secours aux blessés, on lui fit de grandes obsèques officielles dans l’église Saint-Jean-Baptiste, car une bombe étant tombée sur la cathédrale, on ne pouvait plus y célébrer des offices. Son cercueil fut placé dans un caveau provisoire qui était perpétuellement recouvert de fleurs. Tonton Henri, qui était l’un des rares pétainistes de la famille (contrairement à André, son frère de Bordeaux qui, on le sut plus tard, en temps qu’ancien capitaine, était le chef d’un grand réseau de résistance du Sud-ouest) en a été encore plus acharné contre les Anglais et les Américains. Il ne pouvait pas comprendre que je reste fidèlement gaulliste. Il me disait : « Comment tu peux encore les défendre après ce qu’ils m’ont fait ? » Je lui répondais : « Ce ne sont pas les Anglais qui ont tué ton fils ; en réalité, ce sont les Allemands. » Mais il ne pouvait pas le comprendre.

En tout, jusqu’au mois d’Août, il y a eu vingt-trois bombardements. Ils ont fait un grand nombre de victimes. Ce fut une triste période. Pendant ce temps, j’écrivais mon roman Dans la tourmente. Je n’ai pas essayé de le faire publier.



vendredi 3 octobre 2025

Souvenirs de ma mère, 17 (les Singes rouges) : Régina, Guyane française, 1933

 Aller à l’école


L’école n’avait pas de murs. C’était juste un toit en tôle, sur des piliers en bambou. Là-dessous, des bancs. Le sol était en terre battue. Il était luisant, comme ciré par les pas des enfants.

C’était une classe unique. Il y avait des enfants de tous les âges. Certains étaient presque des adultes à ses yeux. C’étaient des Bosch et des Indiens. Elle, elle était la plus petite.

Une fois, un serpent est descendu dans la classe, enroulé autour du poteau. C’était un gros serpent, presque aussi gros que le poteau en bambou. Les bambous sont gros, là-bas. Mais les enfants n’ont pas eu peur. Les plus grands ont attrapé des bâtons et ils ont fait son affaire au serpent.

Elle, elle a eu très peur.

Sa maman a décidé qu’elle n’irait plus à l’école. C’est elle qui lui a fait la classe, qui lui a appris à lire et à compter.