Vendredi à 19h30, la
revue bilingue The Black Herald, dont le dernier numéro paru
accueille notamment ma nouvelle Révolution traduite par
Rosemary Lloyd, organise une rencontre à la librairie Berkeley
Books of Paris (8, rue Casimir Delavigne, Paris 6e - métro Odéon),
avec notamment Heller Levinson (from New York), Michael Lee
Rattigan (from London), Anne-Sylvie Homassel/Salzman, Paul Stubbs,
Romain Verger, etc. You're welcome !
mercredi 30 septembre 2015
mardi 29 septembre 2015
lundi 28 septembre 2015
Mon jeune grand-père (103)
Bütow, le 25 octobre 1918. Mes bien chers Parents. Plus d’un mois après la précédente. Ça devrait être la
dernière, en toute logique temporelle. Je sais qu’il y a des lettres, mais je
me suis fixé sur les cartes.
J’ai reçu depuis lundi la lettre de
Maman du 29 septembre. Et les cartes de Papa des 27 et 30. Un point c’est tout.
Comme courrier, cela peut aller, mais le plus embêtant ce sont les colis qui
n’arrivent pas. Ce qui me laisse quelqu’espoir c’est que la chose est générale.
Il en arrive presque tous les jours, mais en très petite quantité. Heureusement
que nous avons des réserves et que nous pouvons attendre. Nous pouvons
attendre. Je vous expédie
cette carte à Amiens La précédente en effet était encore adressée à
Forges-les-Eaux., et j’espère
qu’elle vous y trouvera complètement installés. Surtout ne vous fatiguez pas
trop et que Papa soigne bien son estomac. L’estomac de mon arrière-grand-père survivra
à celui de son fils. Mais pas plus d’un an. Je suis content de savoir que les réparations ont été faites rapidement et
surtout que le ravitaillement soit bien organisé. Je comprends votre joie de
pouvoir rentrer chez vous, car la vie à Forges ne devait pas être bien
agréable. Je voudrais bien être quelques semaines plus vieux, pour savoir où se
trouve Ma Tante Maria et comment elle a passé les mauvais moments. Ici rien de
nouveau En allemand, « rien de nouveau » se dit « nichts Neues ».
En 1918, il n’y a nichts Neues, à l’est comme à l’ouest, on enregistre les événements avec joie et on
a de plus en plus espoir de voir finir notre exil. Le temps n’est pas trop
mauvais ces jours-ci car on ne va pas s’attarder sur l’espoir si souvent
déçu. Si cela continue nous
aurons une belle arrière-saison. Je vous quitte mes bien chers Parents en vous embrassant bien, bien fort tous les
deux ainsi que Geneviève Louis et tte la famille Votre fils qui vs aime de tt
son cœur. La place manque pour la signature.
dimanche 27 septembre 2015
Anatomie orthographique
Aussi déplacé que cela puisse paraître, il faut bien l’admettre : le cul est tout entier dans la couille.
vendredi 25 septembre 2015
évidences et évidances : les Poèmes évidents de Guy Bennett
Je viens de lire les Poèmes
évidents, de Guy Bennett, traduits par Frédéric Forte et
l’auteur, postfacés par Jacques Roubaud et publiés par les éditions de l’Attente ; ça me faisait beaucoup d’évidentes raisons pour les lire.
Ces Poèmes évidents sont
des poèmes qui se donnent pour ce qu’ils sont et rien d’autre. Le Poème
préliminaire, par lequel j’ai commencé ma lecture parce que j’ai l’habitude
de lire les livres en commençant par le début, dit et illustre clairement le
projet, qui est précisément de dire ce qu’on illustre et d’illustrer ce qu’on
dit. Lisez plutôt :
Poème préliminaire
Ce poème est autonome et
auto-suffisant.
Il ne nécessite ni commentaire
critique
ni explication d’aucune sorte
pour véhiculer son sens,
qui est évident.
Ne dépassant pas une page,
il convient tout à fait
à la publication en revue
comme en anthologie.
Il peut se lire d’une seule
traite
et n’éprouvera pas outre mesure
le lecteur ou l’auditeur
car il n’a besoin ni ne profite
d’aucune
réflexion excessive après
lecture.
Voilà. Je me garderai donc bien
d’en faire un commentaire, en disant par exemple à quel point, sous l’apparence
d’un texte apparemment dépourvu de tout ce qui aux yeux du lecteur en fait un
poème, ce poème parvient à se jouer d’une des principales aspirations d’un
poème, à savoir devenir un objet en soi-même. Je ne rajouterai pas que l’objet
peut donc être ce quasi-rien, à la fois négation de ce qui fait le poème dans
l’horizon d’attente du lecteur (j’éviterai par exemple de faire remarquer qu’il
ne reste plus du vers dit libre que l’extrême pauvreté du récurrent retour à la
ligne), et affirmation que l’affirmation de soi-même suffit ; je ne
décrirai donc pas ce texte et le livre qu’il introduit comme un énoncé
performatif d’auto-affirmation poétique, je ne rajouterai pas qu’il suffit donc
finalement que le texte se dise poème, soit rassemblé avec d’autres textes qui
pareillement se disent tous poèmes (le mot poème étant en effet présent
dans tous les titres du présent recueil), dans un livre qui intitulé Poèmes…
s’affirme donc, tout aussi performativement lui aussi, comme un recueil de
poèmes, la poésie y étant ainsi réduite à l’affirmation d’elle-même.
Mais je veux bien rappeler quand
même, puisqu’en le faisant je ne commente pas directement ce poème ni le
recueil dont il est préliminaire, qu’on parle d’énoncés performatifs
pour ces phrases qu’il suffit de prononcer pour faire la chose qu’elle
ne font que dire. Par exemple : Je vous emmerde. Il suffit
en effet de dire « je vous emmerde » à quelqu’un pour signifier à la
personne concernée qu’on l’emmerde en effet et qu’elle peut désormais se tenir
pour emmerdée dans toute la réalité possible de la merde. J’invente cet exemple
parce que je ne me souviens plus bien de ceux employés par le distingué J.L.
Austin dans son traité Quand dire, c’est faire (How to do things with
words en anglais).
En revanche je me garderai bien
de dire tout le bien que je pense du titre de ce recueil comme du recueil lui-même,
aussi bien dans sa version française que dans sa version originale, car sachez
que s’il vous prenait l’idée de retraduire ce livre en anglais (c’est une idée
qui m’a traversé récemment : retraduire les œuvres traduites dans leurs
langues originales, quitte à les retraduire en français ensuite, et encore une
fois ; on aurait des surprises) son titre que vous pensiez évidemment être
Obvious Poems n’est pas du tout celui-là, à l’évidence vous vous
trompiez d’évidence ; il s’agit en réalité de Self-Evident Poems.
Car le poème évident de soi-même, pour l’être vraiment, doit accepter de
s’évider – mince ; je ne voulais pas le dire, ça m’a échappé. Je ne
rajouterai donc pas, pour ne pas aggraver mon cas, qu’il doit se réduire à tout
ce qui n’est pas lui-même pour poser enfin la question de ce qu’il est
vraiment.
jeudi 24 septembre 2015
mercredi 23 septembre 2015
architecture intérieure
Je ne me baigne pas dans mon bassin.
Je suis aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de ma cage.
Et me voici bêtement avec ma boîte en bas.
Je suis aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de ma cage.
Et me voici bêtement avec ma boîte en bas.
mardi 22 septembre 2015
faire-part
Donc dans un mois paraît Pas
Liev. C’est un roman. Je dis ça comme on dit « c’est un garçon »
ou « c’est une fille » quand un enfant naît. Les parents ne savent
pas du tout qui est cet enfant qui naît alors, pour faire comme s’ils savaient
vraiment quelque chose, il disent « c’est un garçon » ou « c’est
une fille », parce qu’on ne peut rien dire d’autre. Ou si peu. Son poids,
sa taille. Celui-là n’est pas bien gros, 140 pages. C’est pour ça qu’on le
baptise, aussi. Un nom, c’est pratique. Le mot vaut pour la chose. Celui-là
donc s’intitule Pas Liev. J’ai hésité, sur ce titre, pendant l’écriture.
Liev ou pas Liev ? A la fin ça s’est imposé : Pas Liev. Pas
Liev. Et puis on a rédigé une quatrième de couverture, en guise de carte d’identité,
en essayant d’être aussi objectif que possible. Que possible. Voici :
Liev se rend à Kosko pour y
assurer l’honorable fonction de précepteur. Ou peut-être pas. A Kosko, Liev
vivra aussi une belle histoire d’amour. Ou peut-être pas. Le monde est opaque,
à moins que ce ne soit l’homme. L’opacité est une maladie mentale. Ou peut-être
pas.
L’impossible reconnaissance – sociale, professionnelle, sentimentale ou simplement de soi-même – est au cœur de ce roman, mais vue à travers le microscope vertigineux des monstruosités minuscules.
L’impossible reconnaissance – sociale, professionnelle, sentimentale ou simplement de soi-même – est au cœur de ce roman, mais vue à travers le microscope vertigineux des monstruosités minuscules.
lundi 21 septembre 2015
Charøgnards innombrables
Ou bien
Charøgnards est un roman de science-fiction apocalyptique à l’apocalypse
en question
Ou bien
Charøgnards est une relecture des Oiseaux d’Hitchcock par un
scénariste télé qui rêve d’autre chose que de sa besogne du moment
Ou bien
Charøgnards est le journal d’une psychose hallucinatoire déchiffré par un
dysphasique mythomane
Ou bien
Charøgnards est un roman graphique sans rien de dessiné à l’intérieur sinon
des lettres et des signes de ponctuation
Ou bien
Charøgnards est une tentative d’annulation de l’angoisse de la
page blanche par l’angoisse de la page noire
Ou
bien
Charøgnards est une représentation de la disparition de la personne du
monde du temps et du langage
En tout cas
Charøgnards est le premier roman d’un jeune écrivain qu’on appelle Stéphane
Vanderhaeghe dont on attend déjà le prochain et qui vient de paraître chez
Quidam éditeur.
dimanche 20 septembre 2015
Mon jeune grand-père (102)
Bütow, le 23 septembre 1918 – Presque un mois.
Mes bien chers Parents.
Présentation
inhabituelle. « Mes bien chers Parents » est à la ligne, il n’y avait
pas la place à la suite de la date. « Mes » est en dessous de
« -embre ».
J’ai fini par recevoir cette
semaine tout le courrier en retard. Je suis maintenant à jour jusqu’au 31 août.
Les colis par contre arrivent moins bien. Je n’ai reçu que le n°30. Les œufs
étaient en parfait état. Merci pour la chemise. Annulez (je devine plus que je ne lis – mais le
reste de la carte, à l’encre noire, est bien lisible dans l’ensemble)
ma demande de ma dernière lettre. Voilà,
c’est bien ce que je pensais : Edmond doit avoir droit à plus de lettres –
à condition d’envoyer moins de cartes. Je dois aussi avoir ces lettres. Cela
a-t-il un sens, de ne pas chercher à les inclure, à remettre tout dans
l’ordre ? Cela a-t-il un sens, de chercher à mettre un sens ? Le
hasard – relatif – de l’ordre dans lequel je recopie ces cartes, n’est-il pas
plus propre à exprimer cet autre hasard, celui qui a valu à Edmond de survivre,
deux ans plus tôt, et de mourir, dix ans plus tard ? Hier nous
avons mangé du gâteau. D. avait fait une sorte de cake épatant. Mon rhume est
complètement passé et il n’y paraît plus maintenant. Je suis de nouveau en
parfaite santé. J’ai bien reçu les colis dont vous n’avez pas reçu l’accusé
réception. Je suis à jour maintenant jusqu’au n°31. J’ai écrit à ma Tante Maria
la carte de lundi dernier qui avait été reportée à jeudi à cause de la lettre. Voilà, qui plus est certaines cartes n’ont
pas été adressées à mes arrière-grands-parents. Celles-là je ne les ai pas.
Il faut aujourd’hui une belle journée, mais nous ne pourrons pas profiter du
beau temps car cette semaine ce n’est pas notre tour aujourd’hui : nous ne
sortons que vendredi pour aller à la baignade ; mais je crois qu’il n’y
aura plus beaucoup d’amateurs, car le temps est bien froid depuis quelque
temps. Envoyez-moi du cirage : celui que nous pouvons nous procurer ici
coûte fort cher et n’est pas épatant, je le soupçonne d’abîmer les chaussures. On a le droit de critiquer le cirage.
Au revoir mes bien chers Parents, je vous embrasse bien fort ainsi que toute la
famille. EA
samedi 19 septembre 2015
vendredi 18 septembre 2015
Relier les contraires : Biblique des derniers gestes, de Patrick Chamoiseau
Avant d’ouvrir ces Hublots, il m’est
arrivé d’essayer d’écrire des articles sur des livres. Ça valait ce que ça
valait, hein. Mais si en ressortir un de temps en temps permet de se rappeler
quelques bons livres, alors pourquoi pas. Là, c’était Biblique des derniers
gestes, de mon demi-compatriote Patrick Chamoiseau. Un sacré truc.
Relier les contraires
Ecartelé entre le destin d’un
seul homme né dans presque rien et celui des peuples et des leaders du monde
entier qui luttèrent contre le colonialisme sur tous les continents, entre le
récit resserré des derniers moments d’une agonie et celui d’une vie entière, entre
l’Histoire du minuscule pays de Martinique et celle des résistances sur tous
les continents, entre l’univers fabuleux des conteurs d’autrefois et l’aujourd’hui
dérisoire d’un département d’Outre-mer sous transfusion, Bibliques des derniers gestes est un monument baroque qui s’étend
sur près de huit cent pages. Pour le sujet, renvoyons à la quatrième de couverture,
que je crois de la main de l’auteur lui-même :
« Jadis, au-delà de l'aurore
et du crépuscule, les bois symbolisaient la demeure de la divinité, et ainsi de
la Martinique. Mais les dieux sont partis laissant derrière eux, dans
l'obscurité des siècles, des esprits qui enflamment toujours les racines des
forêts, tandis que le temps poursuit sa route.
Balthazar Bodule-Jules était né,
disait-il, il y a de cela quinze milliards d'années et néanmoins, en toutes
époques, en toutes terres dominées et sous toutes oppressions. Alors que,
désenchanté, il décide de mourir, il se souvient tout à coup des sept cent
vingt-sept femmes qu'il avait tant aimées... Ces créatures mémorielles le
ramènent au long cours de sa vie sur les rives de la Terre, parmi le fracas de
ses guerres auprès du Che en Bolivie, de Hô Chi Minh au Vietnam, de Lumumba au
Congo, de Frantz Fanon en Algérie...
Dans ce vrac de mémoire, le vieux
rebelle découvre la dimension initiatique de son enfance soumise à la grandiose
autorité d'une femme des bois, Man L'Oubliée, seule capable de s'opposer aux
damnations de la diablesse. Il prend la mesure des enseignements d'une ardente
communiste que l'on croit être un homme ; puis il élucide enfin l'étrange
douceur de celle qui lui paraissait la plus fragile de toutes : la céleste
Sarah-Anaïs-Alicia...
Le narrateur (Marqueur de paroles
et en final Guerrier) s'identifie insensiblement à ce rebelle qui l'emplit
d'une connaissance littéraire des temps anciens et des temps à venir. Car, au
terme d'une vie dont il ne pensait retenir que l'échec, l'agonisant accède à
une autre conscience : à ce deuxième monde qu'il avait cru longtemps
inatteignable, cet amour-grand seul capable de relier les contraires... »
Avec Biblique des derniers
gestes, c’est une sorte de roman total, que Patrick Chamoiseau nous offre.
Fable initiatique, étude intimiste, fresque grandiose, conte merveilleux,
réflexion sur l’engagement, alliance inédite d’une écriture marquée par
l’oralité créole – l’accent m’en revenait presque à la lecture – et d’une
modernité de la composition plus marquée que dans Texaco ou Chronique des sept
misères : on y voit l’« auteur » à l’œuvre – notamment dans
ses « Notes d’atelier et autres affres » – on y voit l’œuvre en train
de se faire à partir de traces écrites qu’on prendrait pour authentiques, avant
de comprendre qu’Isomène Calypso, « conteur à voix pas claire de la
commune de Saint-Joseph », premier biographe de Balthazar Bodule-Jules,
dont les citations émaillent le texte, Man l’Oubliée et ses
« Apatoudi » listés en fin d’ouvrage ou même le protagoniste Balthazar
Bodule-Jules rapportant le « Livret des Lieux du deuxième monde » ou
le « Livre des Da contre la malédiction », sont autant d’hétéronymes
possibles, ainsi d’ailleurs qu’un Ti-Cham narrateur à distinguer de Chamoiseau
lui-même.
Essentiel bien sûr le rôle de la
mémoire, comme dans tous les livres de Chamoiseau : c’est l’oubli, et ici
l’oubli de l’esclavage, qui est à la source de la Malédiction, ces maux
inexpliqués qui frappent le peuple. Que la mémoire soit rendue aux hommes, par
un geste d’apaisement de Man l’Oubliée, et la vie de nouveau devient possible.
On retiendra aussi le rôle majeur
joué par les différentes figures féminines – dont les quatre principales, la
diablesse Yvonnette Cléoste, Man l’Oubliée, Déborah-Nicol et Sarah-Anaïs-Alicia
sont au roman comme quatre points cardinaux – dans la construction du
personnage masculin, ainsi que celui de la poésie où cohabitent à la fois le
nègre et le béké, Césaire et Saint-John Perse, et le rapport à la nature, à
tout ce qui pousse, à tout ce qui vit.
jeudi 17 septembre 2015
mercredi 16 septembre 2015
un cube en verre
C’est bien le ventre de la ville,
maman.
Faut bien que je sois de quelque
part, que je plante ma tente, un arbre, mes rêves, mes illusions, mes graines,
que sais-je !
(Voix de la censure : n’importe
quoi)
Un cube en verre, voilà ce que je
suis devenu avec en son centre, disposés en étoile, trois-cent soixante yeux
exactement qui brassent le panorama sans que j’aie besoin de bouger. Des yeux
comme des tentacules qui touchent, absorbent et qui renvoient mes villes
communes et opposées, P et B, les initiales qui signent le texte, des images
qui en jaillissent, parenthèses et crochets, et qui ouvrent des mondes.
Aller à mi-chemin je pourrais. M’asseoir
près d’un volcan de Clermont et mater les étoiles, les étoles, les châles, elle
en portait bien cette vieille frileuse.
(Voix de l’autocensure, répète
la censure)
Catherine Ysmal, Tunnels,
Maelström, 2012.
mardi 15 septembre 2015
Mon jeune grand-père (101)
Bütow, le 26 août 1918 Trois semaines d’écart avec la dernière carte. Ce qui est
possible, c’est qu’Edmond ait volontairement réduit le nombre de cartes pour
pouvoir augmenter le nombre de lettres. Mes bien chers Parents
J’ai reçu un peu de courrier cette semaine ce n’est pas encore épatant,
car ce n’est que du courrier assez vieux. Ces sont les cartes de Papa des
26-27-29-30 et 31 juillet et la lettre de Maman du 29 juillet. Je suis content
de savoir que vous ayez enfin de mes nouvelles. Ce subjonctif est assez improbable mais comme souvent, il va
bien avec l’incertitude d’Edmond, quant à savoir si ses cartes parviendront à
leurs destinataires. Il est ennuyeux que le courrier ne marche pas
mieux en ce moment ; mais il faut savoir se résigner au milieu des
circonstances actuelles. J’ai reçu les colis n°s 22 et 23, ils étaient en bon
état ; le lard était superbe. Merci pour le savon dentifrice et les
souliers de toile. Ils sont très bien. Le colis d’œufs est en retard ;
j’espère qu’il va arriver bientôt. J’espère que la blessure du Ct W. n’aura pas
de complication et qu’il sera bientôt guéri. Le
Ct W., Edmond en parle dans la carte du 8 juillet. Il a donc été blessé au
cours de sa tentative d’évasion, laquelle a vraisemblablement échoué.
_ Cette semaine on a vendu à la cantine des pommes, nous en avons acheté et D.
a fait un chausson. Il me soigne bien ! Merci bien pour la confiture de
groseille et les haricots verts séchés, c’est avec plaisir que je les recevrai.
Vous êtes bien gentils.
Le temps continue à ne pas être
très joli : il pleut très souvent, on a de temps en temps seulement une
belle journée ; ce soir c’est notre jour de promenade. Je ne sais si nous
pourrons sortir le temps est menaçant ; la semaine dernière déjà cela nous
a été impossible, il pleuvait averse. Au revoir mes bien chers Parents ;
je vous embrasse des milliers de fois tous les deux ainsi que Ma Tante,
Geneviève et Louis et toute la famille. Votre fils qui pense bien à vs et vs
aime de tout son cœur. EAnnocque
lundi 14 septembre 2015
dimanche 13 septembre 2015
autoportrait involontaire
Car je crois bien que c'est moi, la silhouette juste à droite de la lumière.
(Un visiteur du soir.)
(Cliquez pour caresser.)
samedi 12 septembre 2015
vendredi 11 septembre 2015
Mon jeune grand-père (100)
Cette
carte-ci est particulièrement bien lisible. L’encre n’a pas été diluée par
mesure d’économie, l’écriture est un peu plus large et recouvre toute la
surface d’une façon étonnamment régulière. La carte, ce territoire de 14 cm sur
9, Edmond l’a tant et tant arpentée qu’il peut à l’avance définir avec
précision la taille de son écriture en fonction de ce qu’il aura à dire.
Mais
pourquoi cet intervalle plus long entre les cartes ?
Bütow, le 5 août 1918. Mes bien
chers Parents
J’ai été favorisé hier dimanche par un assez grand courrier. J’ai reçu
la bonne lettre de Maman du 14 juillet et les cartes de Papa des 12, 20-22-23.
Je n’ai pas reçu de colis mais il n’y a pas de mal puisqu’il y a eu une
interruption de 8 jours. Que maman ne se fasse pas de mauvais sang pour mon
linge. Je vais continuer à le raccommoder et cela m’est bien égal pour
l’instant de porter des chemises rapiécées. Que maman conserve ses chemises
neuves pour quand je serai en Suisse. La
Suisse est donc devenue une certitude. J’ai été bien heureux
d’apprendre que Marie-Louise était rentrée avec ses enfants. J’ai rencontré une fois déjà ce prénom.
C’était il y a deux ans, le 12 août 1916 – et il y a bien deux ans aussi dans
le temps présent de la recopie de ces cartes. Marie-Louise avait reçu la visite
de la Tante Maria. Si je m’en souviens si bien, c’est parce qu’Edmond et la
femme qu’il ne connaît pas encore donneront ce prénom à leur premier enfant –
ma tante. Un prénom courant dans cette génération. Mais je croyais
qu’elle en avait trois. Est-ce que le garçon n’aurait pu suivre sa mère ?
J’ai appris avec peine la mort du fils Wachet (si
je lis bien). Sa mère dont je me rappelle bien, doit être bien
triste._ Le temps est encore assez beau, demain je fais encore un match de
football. Que Maman se tranquillise, je n’ai pas encore reçu de mauvais coup. Parfois, quand même, c’est drôle.
Je vous quitte mes bien chers Parents en vs embrassant tous bien fort. Votre
fils qui vs aime de tt s cœur. EAnnocque
mercredi 9 septembre 2015
envie de charogne
A propos de la librairie Charybde, justement, après-demain Stéphane Vanderhaeghe présentera son premier roman Charøgnards qui vient de paraître chez Quidam. J'avais déjà bien envie de le lire, et puis j'ai lu cet article de Blandine Rinkel dans le Matricule des Anges - je sais, c'est flou ; c'est exprès, vous n'avez qu'à vous abonner - et me voici passé à un degré supérieur de l'envie.
Donc c'est vendredi soir à 19h30 à la librairie Charybde, 129 rue de Charenton dans le XIIe.
mardi 8 septembre 2015
De Beckett en Charybde
Le 2 juillet dernier, la librairie Charybde, dans le cadre du Pari des Libraires, m'invitait à parler de ma relation à l'oeuvre de Beckett. Mon Beckett, quoi. La soirée a été enregistrée.
Bon, comme j'y bredouille longuement, je vous fais un petit plan. Je commence par raconter les circonstances de ma découverte de Beckett grâce à Danielle Auby, je parle de Fin de partie vers la sixième minute, de Mercier et Camier vers 11mn45, de Malone meurt vers 20mn55, de l'Innommable vers 25mn50, de Molloy vers 30mn, du Dépeupleur vers 38mn50. J'évoque l'impact que la lecture de Beckett a eu sur mon rapport à la littérature après la quarantième minute. Ensuite c'est Hugues Robert, de la librairie Charybde, qui parle de Liquide vers 55mn, de Vie des hauts plateaux vers 58mn50, de Mémoires des failles vers 1h01. Et je tente de répondre à des questions vers 1h07. Ah oui, je parle un peu de Federman à un moment, et de Chevillard à un autre, parce que quand même.
lundi 7 septembre 2015
dimanche 6 septembre 2015
Koublaï, Coleridge, Borges… et moi
Donc. Car on n’y coupe pas, il
n’y a pas de meilleure histoire que celle du lecteur. Mais qui peut en avoir
plusieurs, parallèles, car il ne saurait être un. (Autrement dit ce billet est la suite immédiate de celui d’hier.)
J’ai découvert Coleridge à la
fac, tout simplement, où j’étudiais alors l’anglais, et donc il y a pas mal
d’années : en 1983 ou 84. Ça a tout de suite été pour moi bien plus qu’une
œuvre au programme. Surtout deux poèmes : les 619 vers de The Rime of
the ancient Mariner et les 54 de Kubla Khan. Lus et relus jusqu’à s’en
réciter d’assez longs passages, dans un accent improbable. Et des essais de
traduction, ou d’adaptation, plutôt.
Et puis, et bien sûr a priori ça
n’a rien à voir, l’autre jour un ami artiste, qui se reconnaîtra, me donne à
voir une belle vidéo onirique et sylvestre, quelque chose qui me parle évidemment
beaucoup, et qui accompagne un passage de mes récents Mémoires des failles.
Un beau cadeau. Le passage est un extrait de la quatrième pellicule du
troisième album :
« Parfois il faut marcher
longtemps, dans la jungle. On se souvient de la lumière du soleil, qui marbre
le sol de taches éparses et parvient verdie par le filtre des feuillages de la
canopée. On est alors encore assez ignorant en matière de botanique ; on
ne manque pas cependant de reconnaître avec plaisir certaines essences, notamment
des érables aux feuilles finement dentelées et aux nervures rougeâtres, ainsi
que d’étonnantes formes arborescentes de capillaires aux frondes mousseuses et
tendres. Cependant la plupart de ces plantes immenses, aux feuilles parfois
étroites, longues et flexibles comme des armes blanches ; on ne les
connaît pas. »
Je me rappelle bien cette marche
dans la jungle. Il y avait une découverte au bout.
« On suit maintenant un
large sentier à travers le sous-bois que le soleil éclaire par larges taches. Puis
l’espace toujours plus important entre les arbres annonce l’orée du bois.
Au-delà des derniers troncs, on distingue une prairie verte aux arbres larges
et isolés. A travers les branches, on commence à discerner indistinctement
quelque chose comme un bâtiment de bois ancien, à l’architecture très ouvragée.
Enfin on arrive devant un pont couvert, tout en bois et très richement décoré,
aux balustrades immenses, mais qui semble déjà vieux et vermoulu. (Depuis lors
en effet, de plus en plus souvent, le monde apparaît arborant les marques
ostensibles du temps.) Ce pont mène à un grand palais de la même facture, en
bois peint, mais dont la peinture s’écaille par places.
On est invités à le visiter.
L’intérieur est d’une somptuosité quelque peu dégradée par le temps, malgré les
efforts d’entretien du personnel, exclusivement constitué de toutes jeunes
femmes dont une fait office de guide. Toutes ces femmes sont chinoises : on
est en Chine.
Il règne là une ambiance de
résignation laborieuse. Papa, à son habitude, veut prendre des photos, mais
c’est interdit : cela pourrait donner l’idée, à des regards occidentaux,
d’une situation asservie des femmes chinoises et donner lieu à des critiques
malveillantes.
On poursuit donc la visite en se
promettant, de retour en France, d’y chercher et d’y découvrir le même palais
(puisque, on le comprend à l’instant, il s’y trouve forcément : chacun
doit savoir que ce que l’on découvre ailleurs, on pourrait donc aussi bien le
trouver chez soi !) : le palais de Tchang Kaï-Chek. »
Il est clair que j’ai rêvé ce
texte. Il y a longtemps : on y est tout jeune, à l’évidence. Mais c’est
aujourd’hui seulement, en croisant « quelque lecteur de Kubla Khan »
imaginé par Borges, que je me rends compte que je l’ai rêvé précisément à l’époque
où un autre moi-même récitait dans sa chambre
“In Xanadu
did Kubla Khan
A stately pleasure-dome decree:
Where Alph, the sacred river, ran
A stately pleasure-dome decree:
Where Alph, the sacred river, ran
Through
caverns measureless to man
Down to a sunless sea.”
Down to a sunless sea.”
et écoutait à l’intérieur de soi
samedi 5 septembre 2015
Koublaï, Coleridge, Borges…
… Il existe cependant un fait
ultérieur, qui grandit jusqu’à l’insondable la merveille du songe où fut
engendré Kubla Khan. Si ce fait est vrai, l’histoire du rêve de
Coleridge est antérieure de plusieurs siècles à Coleridge et n’a pas encore
pris fin.
Le poète fit ce rêve en 1797 (selon
d’autres en 1798) et publia sa relation du rêve en 1816, en guise de glose ou
de justification du poème inachevé. Vingt ans plus tard fut éditée à Paris, partiellement,
la première traduction occidentale d’une de ces histoires universelles dont la
littérature persane est si riche, l’Histoire générale de Rashid-ed-Din,
qui date du XIVe siècle. On y lit : « A l’est de Shang Tu, Koublaï
Khan érigea un palais, d’après un plan qu’il avait vu en songe et qu’il gardait
dans sa mémoire. » Et l’auteur de ce passage était vizir de Ghazan
Mahmoud, qui descendait de Koublaï. Un empereur mongol, au XIIIe siècle, rêve
un palais et le fait bâtir selon sa vision ; au XVIIIe siècle, un poète
anglais, qui ne pouvait savoir que cette construction était née d’un rêve, rêve
un poème sur le palais. Au regard de cette symétrie qui travaille sur des âmes
d’hommes endormis et embrasse des continents et des siècles, il me semble que
les lévitations, résurrections et apparitions des livres pieux ne ont rien ou
fort peu de chose.
Quelle explication choisir ?
Ceux qui par avance rejettent le surnaturel (j’essaie toujours, quant à moi, d’appartenir
à ce groupe) jugeront que l’histoire des deux rêves est une coïncidence, un
dessin tracé par le hasard, comme les formes de lions ou de chevaux qu’affectent
parfois les nuages. D’autres allègueront que le poète apprit, d’une façon ou
d’une autre, que l’empereur avait rêvé son palmais et prétendit avoir rêvé son poème
pour créer une fiction splendide destinée à voiler ou à justifier les défauts
de cette rapsodie tronquée. Cette conjecture est plausible, mais elle nous
oblige à supposer, arbitrairement, l’existence d’un texte non identifié par les
sinologues, où Coleridge ait pu lire avant 1816 le rêve de Koublaï. Plus
séduisantes sont les hypothèses qui vont au-delà de la raison. Par exemple, il
est permis de supposer que l’âme de l’empereur, une fois le palais détruit,
pénétra dans celle de Coleridge pour qu’il le reconstruisît en paroles, plus
durables que les marbres et les métaux.
Le premier rêve ajouta à la
réalité un palais ; le second, qui eut lieu cinq siècles plus tard, un poème
(ou un début de poème) suggéré par le palais ; l’analogie des deux rêves
laisse entrevoir un dessein ; l’énorme intervalle de temps révèle un artisan
surhumain. Vouloir déchiffrer l’intention de cet être immortel ou séculaire
serait, peut-être, aussi téméraire qu’inutile, mais il est permis de soupçonner
qu’il n’a pas encore atteint son but. En 1691, le P. Gerbillon, de la Compagnie
de Jésus, constata qu’il ne restait que des ruines du palais de rouble
Khan ; du poème nous avons que cinquante vers à peine ont été sauvés. De
tels faits permettent d’imaginer que la série de rêves et de travaux n’a pas
touché à sa fin. Au premier rêveur fut échue pendant la nuit la vision du
palais et il le construisit ; au second, qui ignora le rêve du précédent,
un poème sur le palais. Si le schéma se vérifie, quelque lecteur de Kubla
Khan rêvera, au cours d’une nuit dont les siècles nous séparent, un marbre
ou une musique. Cet homme ignorera le rêve des deux autres. Peut-être la série
des rêves n’aura-t-elle pas de fin, peut-être la clef est-elle dans le dernier.
Jorge Luis Borges, « Le
rêve de Coleridge », Enquêtes.
D’habitude quand je donne pour
titre à un de mes billets une énumération de noms fameux je termine par « …
et moi ». Ce n’est que partie remise (à demain).
vendredi 4 septembre 2015
Mon jeune grand-père (99)
Bütow, le 8 juillet 1918. Mes
bien chers Parents Plus d’un mois
d’écart. Il en manque.
après être resté encore quelques
jours sans nouvelles, j’ai reçu jeudi tout le courrier en retard, c’est-à-dire
les cartes de Papa des 6-7-8-10-11-12 et la lettre de Maman du 9. il y avait en
outre une carte de Papa du 4 mai, arrivée en retard parce qu’elle ne portait
pas le lieu de destination. Bizarre
omission, il écrivait presque tous les jours à son fils. Je suis
bien content de savoir que vous êtes en bonne santé et que vous êtes assez bien
installés. J’ai oublié de regarder
l’adresse au dos. C’est toujours Madame Annocque à Forges-les-Eaux, mais
« 51 rue des Eaux Minérales ». Le réflexe Google Map m’informe que
cette adresse est introuvable à Forges-les-Eaux. Alors je cherche « Rue des
Eaux Minérales » sur Google, c’est bien que je pensais ; la rue a
changé de nom, elle s’appelle maintenant « Avenue des Sources ». Elle
s’était déjà appelée « Rue des Fontaines ». Le 51 est facile à trouver,
mais la numérotation a pu changer. Quoi qu’il en soit, les maisons accolées les
unes aux autres sont quasi identiques, et existaient très probablement au début
du siècle dernier. Et ce n’est pas juste mon arrière-grand-mère, c’est toute la
famille, ou au moins les deux parents, qui sont logés là, qui sont allés
« prendre les eaux ». C’est sûrement comme ça qu’on dira.
J’ai reçu ce matin trois colis, les n°s 28, 1 et 2. J’ai renoncé à comprendre le système de numérotation Peut-être
s’agit-il juste des dates d’envoi. Dans le 28 il y avait encore
quelques œufs cassés, mais le 1 était en bon état. Merci pour le beurre et la
farine ; D. fera un petit gâteau pour le 14 Juil. Le savon dentifrice est
arrivé à point. La boîte de Je
n’arrive pas à lire, ça commence par co et ça se termine par se ; je le
note, comme ça j’aurai peut-être une illumination en me relisant.
n’avait pas coulé. Dites à ma Tante que je la remercie bien pour ce qu’elle a
donné pour moi, elle est bien gentille et je lui en suis très reconnaissant. Le
Ct. W est un brave et aussi un veinard, il a eu raison d’essayer car mieux,
pour un soldat, mieux vaut la mort que la captivité. Nous n’aurons pas l’occasion d’en discuter. La
maladie espagnole, comme on l’appelle a fait son apparition dans le camp. Ce
n’est pas grave, un ou deux jours de fièvre et c’est fini. Bon nombre de
camarades l’ont déjà attrapée ; mais j’espère bien passer au travers
quoique ça n’ait pas beaucoup d’importance. Si
Edmond pouvait deviner l’ampleur et les effets de cette épidémie, il se
garderait bien de l’évoquer dans sa carte, et surtout de terminer là-dessus. A
moins que ces phrases ne soient qu’une réponse rassurante à une question
inquiète. Je vous quitte, mes bien chers Parents, en vous embrassant
bien fort tous les deux ainsi que Ma Tante Geneviève et Louis et toute la famille.
Votre fils qui vous aime de tout son cœur. EAnnocque
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