– Si tu crains le soleil, attends-moi sous l'arbre.
– Lequel ?
– Sous le charme, bien sûr.
Avec mon stylo, 5e épisode : « Avec mon stylo, je suis dimanche ».
(Ça marche même le mercredi.)
J’ai très peu de souvenirs du Sceptre d’Ottokar. Sans doute ne suis-je pas seul dans ce cas, mais j’ai déjà dit que je me rappelais des répliques entières de l’Etoile mystérieuse, mon premier Tintin – et sans doute aussi du Secret de la Licorne, des Sept boules de cristal, du Lotus bleu bien sûr et aussi bien des Bijoux de la Castafiore. De quasiment tous les albums, en fait. Sauf du Sceptre d’Ottokar et, dans une moindre mesure, de On a marché sur la Lune (alors que je connais parfaitement bien Objectif Lune).
Les souvenirs d’une œuvre ont parfois peu de rapport avec l’œuvre. Parfois même, pas du tout. Du Sceptre d’Ottokar, je me souviens d’un savant à lunettes très myope et des sourcils froncés de Tintin lorsque le « même » savant lui fait remarquer, depuis le hublot d’un avion de ligne, les petits moutons blancs dans un pré (et tandis que j’écris ceci me revient le souvenir d’un autre hublot par lequel ma mère essayait de me montrer la Statue de la Liberté – mais moi j’avais sept ans et j’étais plongé dans mon Tintin). Je me souviens aussi d’un dilemme pour Milou : l’os ou le sceptre ? Et c’est à peu près tout.
J’étais enfant, donc, et petit, même. Mais à sept ans, j’avais déjà trop de Tintin pour pouvoir les emporter tous de l’autre côté de l’Atlantique. En peu de temps (je me rends compte a posteriori que c’était forcément en peu de temps), mon grand frère Francis m’a offert la plupart des albums de Tintin. Mes parents ont dû m’en offrir quelques-uns aussi, mais c’était surtout Francis. Enfin, pas ceux qui étaient déjà dans la famille : Les sept boules de cristal, le Temple du soleil, Tintin au Tibet et les Bijoux de la Castafiore, que j’ai toujours, et dont la couverture n’est pas glacée comme pour les éditions moins anciennes. Je crois que l’un des derniers que j’ai eus enfant est l’Affaire Tournesol, mais je n’en suis pas sûr. Peut-être ai-je conservé cette impression simplement parce qu’il reste l’un de mes préférés.
Longtemps, il m’en a manqué deux. Et puis j’ai acheté On a marché sur la lune ; comme j’avais déjà Objetif Lune, ça manquait. La quatrième de couverture n’est plus cette espèce d’île étrange avec son grand panneau au milieu, cette sorte de cabinet de curiosités à ciel ouvert que vous vous rappelez forcément si vous l’avez connu. Mais je n’ai pas, pas encore, acheté le Sceptre d’Ottokar. Je l’ai lu, bien sûr, à l’occasion, je ne sais plus où. Plusieurs fois ? Peut-être, je n’en suis pas sûr.
Je l’achèterai peut-être, ou peut-être pas. Je me suis attaché au fait de ne pas l’avoir. De toute façon, on n’a jamais tout.
Les souvenirs d’un lecteur de BD ne sont pas forcément des souvenirs de BD.
« Il n’est arrivé, penses-tu, qu’à toi seul, et tu t’en étonnes comme d’une chose étrange, qu’un voyage si long et des pays si variés n’aient pu dissiper la tristesse et l’abattement de ton esprit. C’est d’âme qu’il faut changer, non de climat. Vainement tu as franchi la vaste mer ; vainement, comme dit notre Virgile. Terre et cités ont fui loin de tes yeux, tes vices te suivront, n’importe où tu aborderas. À un homme qui faisait la même plainte Socrate répondit : "Pourquoi t’étonner que tes courses lointaines ne te servent de rien ? C’est toujours toi que tu promènes. Tu as en croupe l’ennemi qui t’a chassé." Quel bien la nouveauté des sites peut-elle faire en soi, et le spectacle des villes ou des campagnes ? Tu es ballotté, hélas ! en pure perte. Tu veux savoir pourquoi rien ne te soulage dans ta triste fuite ? Tu fuis avec toi... » ai-je pensé (car il m’arrive parfois d’être Sénèque aussi) en lisant Aux îles Kerguelen, le livre que Laurent Margantin consacre à son voyage auxdites îles et qui est paru tout récemment aux éditions Tarmac. Car c’est en effet le récit d’un voyageur qui a déjà intégré les conseils de Sénèque à Lucilius que ce récit de voyage-là.
En effet, pour présenter les choses autrement, Aux îles Kerguelen est l’histoire d’un gars qui cherchait un coin tranquille pour lire et qui s’est dit que peut-être, aux îles Kerguelen, ça ne serait pas mal. Dit comme ça, c’est drôle ; et en effet l’on rit parfois, que l’on soit lecteur ou que l’on soit en mission aux Kerguelen. Mais c’est absurde aussi, comme l’est, dans toute son ingénuité, notre présence ici-bas. Or, puisqu’on y est, et que par ailleurs on est lecteur, profondément lecteur, intimement lecteur, pourquoi ne pas rechercher pour lire – pour vivre – les conditions optimales ?
L’écrivain voyageur est à la mode. Comme moi-même, je ne suis ni voyageur ni à la mode, je n’ai guère suivi celle-ci que de loin. Si la lecture de l’un me tente toutefois, le succès bruyant d’un autre me paraît vaguement suspect. Laurent Margantin pour sa part lit plus qu’il n’écrit, et voyage pour s’enfermer dans une chambre à lire en buvant du thé vert, accroupi avec Dostoïevski dans une posture de misanthrope assumé. Il n’écrit pas pour raconter les Kerguelen, il écrit pour raconter ce qui se passe en lui lisant aux Kerguelen. Et c’est là précisément que le voyage finit par le rattraper : car les Kerguelen, il y est. Le vent des Kerguelen s’impose à lui. Le voyage l’emporte, et l’émotion avec.
Avec mon stylo, 4e épisode : « Je me demande ce que je vais faire, avec mon stylo. »
Le premier épisode, le deuxième, le troisième.
Quand je veux taper "homme providentiel", mon téléphone me propose sagement d’écrire plutôt "homme provisoire".
Mon Lapin Quotidien, « le seul quotidien qui paraît tous les trois mois », est donc un quotidien trimestriel édité par l’Association. Comme dans tous les journaux soucieux de l’information qu’ils véhiculent, on y trouve des nouvelles, comme celle-ci, laquelle a la particularité d’être signée par votre serviteur.
Il suffit qu’un vieil auteur en rencontre un autre pour qu’on puisse dire d’eux « les vieux auteurs ». Tout de suite c’est plus chic.
On appelle « plumes » les écrivains vraiment très légers. La plume en effet se plaît au cul, lequel fait un coquet encrier.
Je sais bien qu’il faut vivre avec son temps ; c’est sans doute pour ça que j’apprécie tant la solitude.
Avec mon stylo, 3e épisode : « je suis capable de tout, avec mon stylo »
(Pour ceux qui auraient raté le 1er épisode, cliquez ici ; pour le 2e, cliquez là.)
Je n’ai pas que le prénom en commun avec Philippe Jaffeux. Je savais déjà qu’il avait des lettres, voici qu’il a aussi des bêtes, des alphabêtes, même, puisque, De l’abeille au zèbre (c’est aussi le titre), 499 d’entre elles sont présentées sur les 26 pages imprimées de son dernier ouvrage, récemment paru à l’Atelier de l’agneau. Certaines sont chères à mon cœur et les coïncidences éditoriales font qu’on aura rarement autant évoqué en poésie le dik-dik, l’amphisbène ou le guacharo des cavernes qu’en ce premier semestre 2023. Chacun chez Jaffeux a sa loge : un énoncé étrange qui détourne, voire retourne ce que l’on dit de lui, dans une sorte de désarticulation de la pensée qui fait réagir la nôtre.
Comme voici ci-contre la couverture de mes Nouvelles notes sur les noms de la nature à paraître bientôt, en voici ci-dessous la quatrième.
(Pour mémoire, il existe un précédent opus, intitulé en toute simplicité Notes sur les noms de la nature, paru en 2017 et comme son petit frère aux toutes belles éditions des Grands champs ; les deux sont lisibles indépendamment l’un de l’autre.)
C’est en voyant tous ces gens pendus à leur téléphone qu’on comprend à quel point le forfait illimité est un crime parfait.
Avec mon stylo, 2e épisode : « Je suis le même, en mieux ». On va essayer de continuer tous les mercredis, après tout c’est un feuilleton pour la jeunesse.
(Pour ceux qui auraient raté le premier épisode, cliquez ici.)
« Je suis bien trop profond pour passer au lave-vaisselle », déclare mon bol à mixeur qui, en effet, fait aussi verre mesureur.
Virgule est un titre votif. Un vœu, si vous préférez, en guise de titre. C’est ainsi que la narratrice de Samantha Barendson, qui ressemble assez à celle de Mon citronnier, préfère traduire « coma ». Son ami, son presque frère que les gens prennent pour son mari alors qu’elle en a un et que l’ami aurait bien voulu lui aussi avoir le sien, a mal traversé la rue et le plus bêtement du monde est tombé dans le coma. Le coma, c’est quelque chose qui ressemble au sommeil sans l’être, quelque chose qui n’est pas vraiment la vie mais qui n’est pas non plus la mort et que la narratrice, donc, préfère appeler « virgule », car c’est le sens de « coma » dans sa langue d’origine. Tomber dans la virgule, ça n’est pas si grave : il y a toujours quelque chose après la virgule. Avec mon goût pour voir les mots cachés à l’intérieur des mots, je dirais volontiers que dans la virgule il y a la vie. Dans la virgule des lettres l’interrompent, la vie ; ça ne l’empêche de continuer après l’L. Ces lettres de la virgule, dans le roman de Samantha Barendson, ce sont les mots qu’elle adresse à l’ami inconscient, et qui constituent l’essentiel du texte, rédigé à la deuxième personne. On ne sait pas s’il l’entend, mais, au cas où, autant lui parler. Cependant tout livre a une fin. Quelle sens aura la fin de celui-ci ? Ça n’est pas à moi de le dire.
Virgule vient de paraître aux éditions de l’Attente ; ça tombe bien.
C’est décidé : un poisson ornera la couverture de mon prochain livre.
(Le poisson d’avril ? C’est que ça n’en est pas un.)