Un dernier livre avant la
fin de l'année, c'est Une immense sensation de calme, le
premier roman de Laurine Roux paru aux éditions du Sonneur au mois
de mars si je ne me trompe pas, si bien que ce billet tombe un peu
comme un cheveu sous la soupe : tout le monde a déjà dit la
beauté de ce roman – un conte au moins autant qu'un roman – et,
une fois n'est pas coutume, tout le monde a raison. Ne comptez pas
sur moi pour vous raconter quoi que ce soit de l'histoire, ce serait
trop facile : un conte, ça raconte, et celui-ci en effet conte
et enchante. Trop facile mais complètement inutile, car à raconter,
on ne dit pas ce qu'il y a dire vraiment, ce qui se joue dans le
rapport à la vie, à la mort, à la nature. Quelque chose
d'essentiel et de trop souvent perdu de vue, que l'on découvre peu à
peu, avec l'héroïne, également narratrice, double de Laurine Roux
qui très certainement, elle aussi, au cours de cette écriture, a
découvert quelque chose, d'intime et d'universel. Si vous voulez en
savoir davantage, dans quelle sorte de Sibérie sauvage et rêvée se
déplacent ses personnages (il y a là notamment un discret retour à
la vie nomade qui me touche), vous pouvez bien sûr chercher sur
Internet, mais le mieux c'est encore de lire ce très beau premier
roman.
lundi 31 décembre 2018
samedi 29 décembre 2018
vendredi 28 décembre 2018
crise de la représentation
- L'actualité nous le prouve : il
y a une crise de la représentation.
- Bien sûr, les Gilets Jaunes...
- Je pensais plutôt à la manière
dont la presse...
- Je suis bien d'accord avec vous.
- … présente la rentrée littéraire
de janvier. Mais oui, vous avez raison : c'est la même chose.
Noirs cafés 5
Parfois il y a des
fourches. Il faut prendre à droite ou à gauche. Un choix s'impose.
On a l'impression qu'il est capital. Aller à droite, ça n'est pas
du tout la même chose qu'aller à gauche. Tout sera différent. Tout
sera différent.
La bonne blague.
On peut aussi choisir de
monter ou de descendre. Autre illusion. Même quand tu montes, tu
descends. Mais si : tu descends. La seule différence, c'est que
comme tu te fatigues un peu, tu crois que tu fais quelque chose.
jeudi 27 décembre 2018
papillon noir
Si le
papillon du titre qui traverse ce roman a la blancheur de l'espoir,
le lecteur ne peut s'empêcher d'en voir un autre, noir, qui tisse
les destins croisés des quatre femmes, héroïnes à part égale de
Quatre femmes et un papillon, de Valérie Allam, qui vient de
paraître aux éditions du Caïman, tout de noir vêtu car en effet
c'est un roman noir. C'est tout à fait le genre de roman dont il ne
faut rien raconter alors je ne raconterai rien. Quelques mots quand
même sur la narration qui passe du point de vue de l'une à celui de
l'autre, des échos lexicaux y jouent le fondu-enchaîné, et tisse,
donc – ce texte est textile – une trame qui échappe aux
personnages, perdus, perdues plutôt, et parfois traquées, dans un
décor cruel d'autant plus absurde que nous sommes, nous lecteurs,
seuls à en savoir plus, papillonnant que nous sommes de l'une à
l'autre, remarquant des coïncidences qui frôlent parfois le
surnaturel, invités à imaginer que tel personnage, qui a un moment
a fait ceci, est peut-être aussi celui-là, qui à un autre moment a
fait cela. Car les identités sont en question. On est assigné à un
rôle social, on ne croit pas qu'on puisse jamais en sortir, s'en
sortir, on y croit un instant ; ou bien on se rend compte qu'on
n'est plus, mais alors plus du tout celle qu'on a été, une
métamorphose a eu lieu, parce qu'on a vécu quelque chose, quelque
chose de terrible, sans doute faut-il vivre quelque chose de terrible
pour devenir un papillon, un papillon blanc, un papillon noir.
mercredi 26 décembre 2018
dimanche 23 décembre 2018
Nouvelles très brèves (23)
Ce soir-là, sans
regarder la pendule, la famille Berdurier resta à table près de
cinquante-six minutes. Madame Berdurier ne l'avait pas regardée non
plus durant les deux heures et trente sept minutes qu'elle passa à
préparer le repas. Le lendemain matin, Paul Berdurier ne regarda pas
sa montre, il faut quand même préciser qu'il ne resta que
cinquante-six secondes aux toilettes.
samedi 22 décembre 2018
Noirs cafés 4
On est trop. Beaucoup
trop. Autrefois, on disait : « il faudrait une bonne
guerre ». On ne le dit plus. On sait bien que ça ne sert à
rien : on a déjà essayé, on est toujours beaucoup trop. On
est même encore plus. On fait toujours la guerre, mais maintenant
c'est surtout par habitude, sans conviction. On sent bien que le cœur
n'y est plus.
jeudi 13 décembre 2018
Noirs cafés 3
Il a rendez-vous avec sa
vieille maîtresse. Il se demande s'il va la reconnaître. La
dernière fois, ils ont bien failli se rater. Il lui semblait
pourtant qu'elle avait des cheveux, et puis finalement non. Elle non
plus d'ailleurs, elle ne le reconnaissait pas. Il n'avait plus de
cheveux non plus, il faut dire, mais il lui semblait pourtant que ça
faisait longtemps. Il n'était même pas certain d'en avoir jamais
eu. Peu importe, elle n'avait jamais eu une très bonne vue. Encore
un point commun entre eux. D'ailleurs, il lui était resté un doute,
à lui, après cette dernière rencontre. Était-ce vraiment sa
vieille maîtresse ? Si ça se trouve, c'était une autre
vieille maîtresse qui l'avait pris pour son vieil amant à elle.
Elle avait peut-être un vieil amant elle aussi. Ça n'a pas
tellement d'importance. Il ne lui demandera rien, quand elle
arrivera. Il n'essaiera pas d'éclaircir la situation. Ça changerait
quoi ?
lundi 10 décembre 2018
Seule nuit tombe dans ses bras et Mon jeune grand-père ont les honneurs du Temps
Seule
nuit tombe dans ses bras et Mon jeune grand-père ont les honneurs du Temps, le quotidien suisse, grâce au regard attentif
d'Isabelle Rüf. Un même article pour ces deux livres si différents,
il fallait que ce soit dans le Temps : en 2001 déjà elle
écrivait sur Une affaire de regard, dont le héros, elle s'en
souvient, est l'auteur de Seule la nuit..., enfin de Même la nuit
tombe dans ses bras, dont je ne suis officiellement que le
préfacier. Et beaucoup d'autres, entre ces deux-là, sont cités,
Notes sur les noms de la nature, Elise et Lise, Pas
Liev, avec les liens vers les articles les concernant (tiens elle
a oublié Liquide, sur lequel elle avait aussi écrit un bel
article). Sensation agréable et curieuse de vieille connaissance
avec une personne jamais rencontrée, même pas par mail. Un plaisir
qui va au-delà de la seule promotion des livres. La lecture, c'est
quand même quelque chose.
samedi 8 décembre 2018
Discernement de Guillaume Contré : le lieu par où ça pense
« La
main tendue du serveur était très blanche, ce qui contrastait avec
son visage brun. Mais elle n'avait pas de gouttes de sueur. C'était
une main propre. Ce n'était en aucun cas une main travailleuse, ce
qui rendit Frédéric perplexe. Le travail n'était pas censé se
lire sur les mains des gens ? Question à laquelle il ne
répondit rien. En partie car la blancheur immobile de cette main
blanche l'aveuglait, ce qui ne lui permettait pas de penser, et en
partie car une autre idée s'imposait à lui, celle des lignes de la
main. Lignes que dans le cas présent il ne voyait pas. Peut-être
n'étaient-elles pas là. Ces lignes qui parcouraient l'éventail de
la paume en s'ouvrant en éventail. Sillons obstinés, se dit-il. Et
il le répéta pour lui-même : sillons obstinés. Cela lui
sembla un bon titre pour un essai ou un recueil de poèmes. Il avait
écrit des essais, mais pas de recueils de poèmes. Il ne se sentait
pas d'habileté pour le lyrisme, pas non plus pour la rime. Mais pour
les idées, oui. Les idées lui plaisaient. Elles surgissaient
facilement, l'une après l'autre. Il suffisait de les relier un peu,
et c'était bon. Relier, c'est un peu comme rimer, pensa-t-il. Il
s'agissait de construire des résonances. Ce sont les résonances qui
donnent le sens, comme la rime dans un poème, pensa-t-il. Encore que
les rimes soient plus esthétiques que les idées, pensa-t-il. Ou
non, se corrigea-t-il, non : les idées bien reliées sont
belles aussi. Bien relier, c'est ne pas laisser de trous dans la
trame, pensa-t-il. Personne n'a envie de porter un pull plein de
trous, pensa-t-il. Lui non plus, même s'il ne prêtait pas toujours
une attention suffisante à ses vêtements. »
C'est
un passage de Discernement, de Guillaume
Contré, qui vient de paraître chez Louise Bottu. On
croit qu'on y suit Frédéric, mais en fait non, on suit la pensée
de Frédéric. Frédéric aussi suit sa pensée. Souvent on croit,
vous croyez que vous pensez. Alors que non, vous ne pensez pas. Vous
êtes juste traversé par votre pensée. Vous êtes le lieu par où
ça pense. Une pensée me traverse et je la laisse me le dire :
je suis le lieu de la pensée qui me laisse me dire que je ne suis
que le lieu de la pensée qui me laisse me le dire, que je ne suis
que le lieu de la pensée qui me laisse vous le dire.
lundi 3 décembre 2018
Noirs cafés 2
Il tient sa main droite
dans sa main gauche. Il n'a pas de poche où la mettre. Il ne voit
pas comment la tenir autrement, et il ne veut pas s'en défaire. Il a
pensé la donner à son chien, qui saurait bien quoi en faire, mais
il n'a pas pu s'y résoudre. Alors il la garde dans sa main droite.
Ça lui fera un souvenir de lui-même.
dimanche 2 décembre 2018
Noirs cafés 1
Parfois le squelette se
désolidarise du reste. C'est étrange. Il se défait dans un
cliquetis gracieux et tombe en petit tas, tandis que l'amas des
chairs et des organes joue les coussins informes à côté. C'est là
qu'on regrette que la fourrure humaine soit si pauvre.
Je commence à poster ici deux ou trois petites choses que j'ai écrites avant-hier dans un café, devant un café (oui : noir). Il n'y en a que quelques-unes mais si je retourne prendre un café, on ne sait jamais, il y en aura peut-être d'autres.
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