C’est par son blog
que j’ai eu connaissance du travail de
François Matton. Ce que j’y ai vu / lu – car les yeux en effet y
sont doublement convoqués, c’est pour cela sans doute qu’on en a deux –
m’a donné l’envie d’aller plus loin. J’ai demandé à une
amie, grande lectrice, si elle avait quelque chose de lui à me
prêter – elle avait : c’était El, où
François dessinait pour une voix autre que la sienne, celle de Renaud Camus. Puis j’ai acheté J’ai tout mon
temps, rien qu’au titre je savais déjà que c’était pour
moi. A mon libraire j’expliquais : « François Matton, un auteur qui
dessine de la poésie chez POL ». (POL, faut-il
le rappeler, est aussi – est surtout ? – un éditeur de poésie.) Ou
qui écrit avec des dessins. Peu importe, c’est le même trait qui trace
les deux : lettres et images. Un trait fin, je
dessine et j’écris, et c’est entre les deux, la case et le texte
en-dessous, que quelque chose se joue.
Autant la mer, qui vient de
paraître, ressemble comme un frère à J’ai tout mon temps. Comme un frère. C’est-à-dire cet évident air de famille : même format horizontal, illustration de couverture
décentrée à droite, évocation d’enfance et de transport ; même épaisseur (je n’ai pas compté les pages), et à l’intérieur même structure à trois cases, avec de temps en temps dans
Autant la mer une entorse à la règle qu’on n’avait pas dans J’ai tout mon temps. Mais les frères, ça ne se ressemble jamais complètement, pour peu qu’on les connaisse un peu.
J’ai tout mon temps avait quelque chose d’un recueil de haïkus graphiques, Autant la mer assume d’être aussi un récit. (Aussi – car à mes yeux il ne cesse pas pour autant d’être
de la poésie. Et puis tiens, pendant que j’y pense, le haïku détourné en particule de récit atomisé, ça existe.) C’est le
récit d’un jeune homme, son frère ai-je appris sur son
blog, qui à l’issue de son service militaire en Guyane, s’invente une
vie à laquelle la matière et la mer en paysage donne la forme
d’un bateau. Tout jeune encore mais adulte quand même, dégoûté
d’avance de « la société » qu’il refuse en bloc, il projette une sorte
de jouet géant pour l’enfant qui a grandi avec lui
– comme ça les règles du jeu seront les siennes. Peu importe que la
réalisation ne soit pas, objectivement, à la hauteur du rêve ; puisqu’en
fin de compte c’est le rêve qui est la vraie
réalisation : à même le sol, les mains derrière la tête, le
narrateur rêve, son rêve devient dessin et François le double de son
frère, au visage hachuré.
(Et on aura profit à lire ce
que l'auteur lui-même en dit.)
(Il doit bien me rester un fond de rhum...) À la vôtre !