samedi 26 avril 2025

Souvenirs de ma mère, Les Singes rouges, 3

 Ne pas faire semblant d’écrire


Elle, elle n’a jamais fait semblant d’écrire. Écrire était un plaisir, elle a beaucoup écrit mais elle ne faisait pas semblant.


Elle avait, elle a toujours, quoi qu’elle en dise, une très belle écriture. Tout le monde le disait. Pour lui, écrire bien, c’était écrire comme elle.

A l’époque il avait des bonnes notes partout, sauf en écriture. Encore aujourd’hui, sa vilaine écriture de gaucher lui fait honte.


Elle n’écrivait pas de romans, elle. Elle écrivait des lettres. Elle écrit des lettres. Des lettres à des amis, des lettres à des cousins. Des lettres avec des destinataires. Des lettres qu’ils sont tellement contents de recevoir, les destinataires, que souvent ils lui en réclament. Écrire des lettres, c’est écrire sans faire semblant d’écrire.


Elle écrivait des lettres parce qu’elle était loin.

Elle écrivait des lettres parce qu’elle était partie.


Elle est partie en 1949.


Elle était déjà partie, en 1936.


Elle n’est pas partie pour les mêmes raisons.


Elle n’est pas partie du même endroit.


C’est pour ça que, quand il lui a demandé s’il avait des origines, il a trouvé la question compliquée. C’est pour ça qu’il a trouvé qu’il n’y avait rien à en dire.

C’est pour ça qu’il croyait qu’il parlait d’autre chose, en écrivant ce qu’il écrivait, ce qu’il écrit, et qu’il continuerait à parler d’autre chose. C’est pour ça qu’il a répondu si vite.


Bien sûr qu’il parlait d’autre chose, en écrivant. Mais il parlait de ça aussi.


Sûrement, il parlait déjà des singes rouges qu’ils n’avaient jamais vus.

Sûrement, il parlait aussi d’une île où il n’y a jamais eu de singes.


Mais il ne le savait pas.

Alors voilà :


Il va parler des singes rouges qu’ils n’ont jamais vus. Ni lui, ni elle.

Puis il va parler d’une île, où il n’y a jamais eu de singes.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire