lundi 15 septembre 2014

Terminus radieux de Volodine


On a lu Terminus radieux. On a envie d’en parler. On tente de se remémorer comment ça a commencé, cette lecture, il y a longtemps, combien de siècles. Attends. Rappelle-toi. C’était juste après la chute de l’Orbise, à la fin de la deuxième Union Soviétique. Il y a si longtemps. Volodine commençait son livre comme si ça allait être un roman, comme à l’époque bien plus ancienne où on écrivait encore des romans. Ça commençait comme ça : « Le vent de nouveau s’approcha des herbes et il les caressa avec une puissance nonchalante… » « … Le ciel était couvert d’une mince laque de nuage. » « … Aux pieds de Kronauer, la mourante gémit. »
Oui, il y avait eu une époque où des écrivains écrivaient des romans, on s’en souvenait ; et ça ressemblait pas mal à ça, les romans qu’on lisait. Mais c’était il y a longtemps. Déjà à l’époque de Volodine les livres ne ressemblaient plus vraiment à des romans. D’ailleurs Volodine lui-même ne les appelait pas des romans ; il appelait ça des narrats, des entrevoûtes, des shaggas, des romances avec un rond sur le a. Des récits qui ne ressemblaient à rien sinon peut-être aux rêves que faisait parfois l’écrivain qu’on croyait être.
« – Elli, soupira-t-elle. »
C’était donc quand même un roman, cette fois, avec des dialogues, et c’était comme ça qu’on apprenait le prénom du personnage qui serait le héros, Elli Kronauer ; même si « héros » a aussi un autre sens dans la bouche des personnages de Volodine, même si sans doute il y en aurait beaucoup d’autres, des personnages, vu l’épaisseur du livre, à laquelle Volodine ne nous avait pas vraiment habitués.
Le nom nous était familier, il y a tellement de noms propres dans les livres de Volodine, parfois on pourrait confondre, mais non, Elli Kronauer, même si on ne l’avait pas lu, on savait bien que c’était le nom d’un écrivain, un écrivain post-exotique bien sûr comme tous ceux qu’on croise dans tous les livres de Volodine, mais qui était l’un des rares – à notre connaissance il n’y en avait que trois, outre Volodine lui-même – à avoir acquis une sorte d’existence autonome, nous n’avons pas tous le même degré d’existence, et à avoir ses titres publiés chez des éditeurs qui n’étaient pas spécialisés dans la littérature post-exotique : comme Manuela Draeger, Elli Kronauer avait publié plusieurs livres à l’Ecole des Loisirs. (Bien avant la chute de la deuxième Union Soviétique, avant même son avènement, l’Ecole des Loisirs était le nom d’une maison d’édition spécialisée pour la jeunesse.) Mais il se peut aussi que ce ne fût là qu’une coïncidence, un cas d’homonymie : le Kronauer de Terminus radieux dont le prénom ne serait si on se souvient bien plus jamais prononcé était présenté comme un soldat, un combattant de l’Orbise, comme nous l’avons tous été. Non ? On ne l’a pas tous été ? Lui ou nous peu importe.
D’ailleurs il ne faisait preuve d’aucune velléité littéraire, à l’époque. Rien d’un écrivain. Son langage même était plutôt fruste. Plutôt qu’un écrivain, Kronauer, c’est le gars que vous préfèreriez avoir comme compagnon, lui plutôt qu’un autre, au moment de la fin du monde, histoire d’être tranquille et pas tout seul.
Pourtant, malgré l’apparente indifférence de Kronauer à son égard, la littérature était partout dans Terminus radieux. Etait-ce l’influence du précédent livre de Volodine, sobrement intitulés Ecrivains, rappelez-vous, qui nous incitait à chercher partout dans la steppe et la taïga autour de Terminus radieux, le kolkhoze mystérieux, la présence souterraine de la littérature à l’œuvre ? Peut-être.
Terminus radieux. Un paradis sur Terre, quoi. Un roman qui commençait par le début d’une fin, parce que c’est long, la fin. La mourante était mourante, elle ne s’en sortirait pas, il ne restait déjà presque plus que son nom, Vassilissa Marachvili, qui lui survivrait longtemps, mais Kronauer ne valait pas beaucoup mieux. Sans autre issue possible, ils avaient délibérément pénétré, avec leur camarade Iliouchenko, pour tenter de finir ensemble, dans une zone où la vie n’était plus possible. Les radiations en avaient décidé ainsi. Celles, notamment, de Terminus radieux. La vie n’y était plus possible mais la mort guère davantage, on le comprenait très vite après avoir fait connaissance avec la Mémé Oudgoul, révolutionnaire immortelle et double obscure de la Mémé Holgolde qu’on avait déjà rencontrée dans les Onze rêves de suie de Manuela Draeger, rappelez-vous, au point qu’on avait d’abord cru que c’était la même, qui nourrissait amoureusement la pile atomique de Terminus radieux, retournée à l’état sauvage comme toutes les centrales de la seconde Union Soviétique et sans doute du monde, mais qui n’en finissait plus d’irradier les éternels survivants.
C’était elle peut-être le personnage principal, mon pauvre Kronauer, la pile qui brûlait jaune au fond de son puits à deux kilomètres de profondeur, c’était elle ou c’était Solovieï, le « président du kolkhoze », qui se piquait de poésie et dont les yeux brûlaient jaunes au fond de leur orbite.
On a lu Terminus radieux, on a envie d’en parler. On raconterait bien toute l’histoire, puisqu’il y en a une et qu’on est comme dans un roman d’autrefois. Mais on sait qu’on en aurait pour mille huit cent treize années lunaires et quelques. Ce serait comme d’entrer dans vos têtes sans en avoir le droit. Solovieï me dirait sûrement que je fais du mal à ses lectrices. Ce double obscur de Volodine. Je préfère terminer radieux qu’irradié.

8 commentaires:

  1. L'art de parler de parler d'un livre sans raconter l'histoire (comme pour un film) : écrire autour pour en donner l'envie, le désir, le plaisir.

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  2. Les "critiques littéraires" devraient toujours être faites par des Ecrivains, ceux du grand E(ux).
    Sans doute grâce à vous vais-je arriver à lire Volodine...

    MP

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  3. C'est étonnant comme ça (se) passe, mais voilà qu'enfin je prends avec moi cette communauté, ce collectif de post-exotiques. Le genou de Volodine.

    http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article1250

    MP

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  4. Vas-tu etre content?
    Ce livre fait partie de la selection ()pour le prix de la kkdemie-j'assume- francaise.

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    1. Si ça peut aider à le faire découvrir, c'est bien ! (même si les prix, hein...)

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