Bibliographie

Interviews

samedi 31 mai 2025

Souvenirs de ma mère, Les Singes rouges, 8

 Se souvenir d’ailleurs au lieu d’ici



La pièce est sombre, triste. Cette maison l’a toujours été. C’est elle qui donne cette précision. Une précision due à d’autres souvenirs, moins anciens. Quand elle sera « revenue » en Martinique. A cette époque elle ne sait pas vraiment où se trouve cette maison.

Car ce souvenir-là, ce souvenir le plus ancien, c’est un souvenir de Martinique, alors que, étrangement, il date d’une époque où elle ne vivait pas encore en Martinique. Elle ne se l’explique pas. Ou plutôt elle ne se l’explique que d’une seule manière : ses parents étaient déjà revenus en Martinique, avec elle, avant leur retour définitif. Mais de ce voyage ancien elle ne garde aucun autre souvenir.


Son souvenir le plus ancien est le souvenir d’un mort, et c’est aussi celui d’un lieu où elle ne vivait pas. Même si – mais ça elle ne le savait pas encore – c’était une maison des ancêtres.



Souvenirs de mon père, 42 (Paris, pendant l’Occupation)

Un jour, avec Milou, vous avez eu l’idée d’acheter un billet de la Loterie Nationale. Contre toute attente, pour la seule fois de votre vie, vous avez gagné ! Cela représentait à peu près l’équivalent de ton salaire mensuel. C’était tout de même assez intéressant. Ta sœur n’a rien trouvé de mieux que de raconter ça à tout le monde au cours du repas à la cantine. Il a fallu leur payer l’apéritif, ce qui a englouti une bonne partie du gain.

Malheureusement, Milou n’a pas pu conserver sa place de magasinière, à cause de son défaut d’écriture, qui l’empêchait de remplir les fiches correctement. Ils l’ont placée dans un atelier où elle fabriquait des sandows. A sa place, on a embauché une jeune fille, Solange S, avec qui tu as sympathisé tout de suite. Malheureusement, tu as appris qu’elle faisait partie de (le nom t’échappe), un groupe pétainiste et germanophile, ce qui t’a beaucoup déçu. Tu as essayé de la pousser à quitter cette organisation, et tu as appris par la suite qu’en effet elle l’avait quittée. Elle n’était peut-être pas très convaincue. Tu l’as revue plus tard, après la libération d’Arras, au moment où tu es revenu à Paris pour t’engager dans l’aviation. C’est là qu’elle t’a appris qu’elle avait quitté ce groupe, mais elle était devenue (ou avait toujours été) une jeune fille assez légère à tes yeux, et ça ne te plaisait pas non plus. Vos relations n’ont pas duré.

vendredi 30 mai 2025

court toujours (331)

– Pourquoi tu creuses ?

Quelle question ! Pour savoir pourquoi je creuse, bien sûr !



mercredi 28 mai 2025

Mon classique du mercredi : Koubla Khan, de S.T. Coleridge

Je ne peux pas ne pas évoquer la poésie de Coleridge, notamment Le Dit du Vieux Marin et Koubla Khan, que je découvre à la même époque qu’Aloysius Bertrand, au tout début de mes études. Mon anglais ne me permet d’en dire correctement plus que quelques vers sans préparation préalable, aussi l’introduction de Kubla Khan suffira. Le texte m’a tellement marqué qu’à l’époque j’en écris une adaptation en français et en alexandrins. Ce travail a donné lieu beaucoup plus récemment à un essai qui est aussi, à sa manière, un poème et qui est aussi non pas une mais trois traductions, Trois ductions de Koubla Khan, paru dans la version papier de la belle revue Catastrophes, mais qu’on peut encore lire ici, ici et . Ce numéro de Catastrophes avait aussi donné lieu à une soirée de lancement à la Maison de la Poésie de Paris ; l’enregistrement est ici et c’est justement avec Koubla Khan que cela commençait.



mardi 27 mai 2025

Ce que le vague a à dire selon Juice Casaganthe et Fanny Quément

Document 28 : « Le dit du vague : manifeste pour un avachissement de l’élocution », publié sur les internets


Il se dit que le vague a beaucoup à dire et ce que le vague a à dire tient d’abord dans un hiatus.

Vague a à dire. Vagaadir.

Le vague ahane. Le vague éclot dans l’interstice. Là dans le hiatus, dans le remous des voyelles, il étire les voyelles, les entrebâille. Il bâille, bouche grand-ouverte – vague est un ogre. Il dévore les consonnes et parfois même des syllabes entières.

Pour bien l’accueillir il est recommandé de :

se délier la mâchoire

défaire les points d’articulation

parler en dormant

parler cotonneux

parler bête

bouche béer.


Je viens de vous recopier la page 73 de Juice Casaganthe, qui vient de paraître dans la toute nouvelle collection Prose libre des éditions Quartett. Le langage est matière. Fanny Quément décline les sens.



lundi 26 mai 2025

Le Contrat, par Franquin et Kafka, épisode 72

Assis face à Monsieur Schlehe dans le bureau de réception au mobilier design des établissements Brunnen, Messerschmied bouillait d’impatience. Le contrat, l’assurait Monsieur Schlehe, allait arriver d’un instant à l’autre, « à grande vitesse ». « A grande vitesse », cette expression était ridicule. Mais il fallait que le contrat arrive vite ; qui sait ce qui pourrait arriver dans l’intervalle ? Enfin le contrat arriva, à grande vitesse en effet, vite, tellement vite qu’il était impossible de s’en saisir.

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samedi 24 mai 2025

Souvenirs de ma mère, Les Singes rouges, 7 "Donner une fleur au monsieur mort"

En plein milieu de la nuit à 4h36 ils lui ont téléphoné pour lui dire de ne pas s’inquiéter que sa mère était tombée alors il est sorti à pied et il est allé en plein milieu de la forêt en fait juste à l’orée mais il préfère dire en plein milieu mais contrairement à la dernière fois il n’y avait rien dans la forêt.


En plein milieu de la nuit, à 4h36, ils lui ont téléphoné pour lui dire de ne pas s’inquiéter, que sa mère était tombée, alors il est sorti à pied et il est allé en plein milieu de la forêt, en fait juste à l’orée, mais il préfère dire en plein milieu, mais, contrairement à la dernière fois, il n’y avait rien dans la forêt.



Donner une fleur au monsieur mort



Un jour il lui a demandé de raconter son souvenir le plus ancien. Il attendait un souvenir de Guyane. Il ne s’était pas vraiment posé la question mais forcément ce serait un souvenir de Guyane, puisqu’elle l’avait quittée à sept ans, et qu’il lui avait demandé son souvenir le plus ancien. Il avait envie d’un souvenir de Guyane, parce qu’il savait déjà que ses souvenirs de Guyane étaient beaux, et précieux.

Et là, elle lui a dit, sans pouvoir l’expliquer, que son souvenir le plus ancien était de Martinique.


C’est un souvenir très net, mais très isolé. Elle se souvient de ce qu’on lui a dit, de ce qu’on a dit à la toute petite fille qu’elle était. Il fallait qu’elle cueille une fleur, et qu’elle la mette dans les mains jointes de Monsieur Laudarin. Monsieur Laudarin, elle précise, c’était le mari de Tante Mence. Il pense qu’il faut écrire « Mence » car c’est le diminutif de Clémence. Elle précise encore : Tante Mence, c’était la sœur cadette de sa grand-mère.

Une peau de vache. (Encore une précision.)

Elle rit.

Ce sont des personnes qui ont vécu il y a très longtemps. Qui ont dû naître dans les années 1860, 1850 peut-être. Ce serait facile de vérifier.


Ce livre n’est pas que l’histoire de la traversée d’un océan, non. Ou alors, un océan d’années aussi.


Un océan d’années après, ce souvenir-là est encore vivace : cueillir une fleur et les mettre dans les mains jointes de Monsieur Laudarin. Dans les mains mortes de Monsieur Laudarin.

« Monsieur Laudarin », c’est comme ça qu’on appelle l’homme mort étendu sur le lit. Exposé sur le lit.

Le premier souvenir d’une vie est le souvenir d’un mort.




Souvenirs de mon père, 41 (Paris, pendant l’Occupation)

Chez Ericsson, vous (les jeunes du centre de jeunesse) aviez été embauchés sous contrat à durée déterminée. A la fin du contrat, vous avez été licenciés. Tu as réussi à rester quinze jours de plus que les autres parce que, comme tu avais été détaché de la Todt, on t’avait oublié. Mais on t’a licencié à ton tour.

Pendant ces missions, tu avais sympathisé avec un monteur qui avait un ami nommé Hildever Brou, chef électricien dans une usine, les Etablissements DF, à Montrouge. On y fabriquait du matériel pour les avions : des crics hydrauliques, de l’équipement électrique de bord. (Par ailleurs, on y fabriquait aussi, pour les Français, des vélos-taxis.) Tu es allé à la DF, tu t’es présenté à Brou qui t’a engagé tout de suite, sur la recommandation de son ami. Tu es entré comme électricien d’entretien. Tu suivais toujours les cours des Arts et Métiers en même temps, ce qui fait que, en théorie, tu étais plus avancé que les autres électriciens, mais en théorie seulement. Tu as travaillé là pendant un an.

A la DF, tu as réussi à faire entrer ta sœur Milou ; on lui a donné une place de magasinière.

Ici c’est moi qui rappelle que, à aucun moment, l’idée qu’elle pourrait travailler n’a traversé l’esprit de ta mère – ni de personne dans la famille : ça paraissait juste impensable.

Il n’y avait pas de local prévu pour la cantine. On installait des tables à l’heure du déjeuner et une société extérieure venait livrer les repas. Après manger, très souvent, vous alliez jouer au volley sur un terrain vague juste en face la DF. Maintenant, là, c’est le Boulevard Périphérique. C’était juste à côté de l’église de Montrouge. Chaque fois tu passes sur le Périphérique, tu vois les anciens bâtiments de la DF.

jeudi 22 mai 2025

Faire profession d’insignifiance

Quand j’avais dix ans, ma grand-mère de Martinique est venue vivre quelque temps avec nous. Comme il n’y avait pas beaucoup de place, nous dormions dans la même chambre. J’étais enfant ; elle était déjà âgée. Nous ne nous connaissions pas beaucoup ; elle devait me trouver turbulent. C’est ce que signifiait ce reproche, qu’elle me faisait souvent et dont je ne comprenais pas le sens, que j’étais « insignifiant ». « Insignifiant », je ne savais pas vraiment ce que cela voulait dire ; mais même si je l’avais su, je n’aurais pas compris ma grand-mère. J’aurais sûrement été vexé, mais à tort, car pour elle, « insignifiant » n’avait pas le sens qu’on lui donne en métropole. Pour elle, c’était juste un synonyme de turbulent, ou d’insupportable. C’était un créolisme. C’est ma mère qui me l’a expliqué. Et sans doute, oui, quand je jouais, je devais pouvoir passer pour turbulent, aux yeux d’une personne âgée qui n’avait plus l’habitude des enfants.

Mais c’est pourtant vrai, en réalité, que j’étais insignifiant. Non que je le fusse plus qu’un autre, je n’ai pas non plus cette prétention. Mais si j’essaie de me rappeler le fond de ma pensée d’alors, qui n’a pas tellement changé depuis, il me semble que la conviction de ne rien signifier la résume bien. J’étais là et ça ne signifiait rien. J’étais là comme n’importe quel animal, n’importe quelle plante, n’importe quelle chose dépourvue de vie aussi est là : sans rien signifier. Sauf que j’appartenais déjà, j’appartiens toujours à une espèce dont la seule particularité réside dans un attachement, un attachement absurde évidemment, au sens. À l’homme, tout doit faire signe, à commencer par soi-même. Je suis ceci, je suis cela ; il n’a que ça à la bouche.

C’est sûrement pour ça que je me suis mis à écrire : parce que j’appartenais à une espèce qui se veut signifiante, tout en ayant la conviction profonde de ne rien signifier. Je n’écrivais pas pour dire quelque chose : j’écrivais pour dire rien. Alors même que j’étais encore enfant, les enseignants étaient gênés par le vide de mes rédactions. Mais j’avais quand même de bonnes notes, le plus souvent. Plus tard les éditeurs ont parfois été gênés par le vide de mes livres. Mais bon, il leur est arrivé souvent de les publier quand même. Il y avait sans doute une raison, à ces bonnes notes, à ces publications. Qu’ai-je à dire ? Rien. Je n’ai pas rien à dire : j’ai à dire rien. J’ai rien, à dire. J’ai rien. Je suis insignifiant : c’est ma profession.

































(Autoportrait il y a vingt ans)

mardi 20 mai 2025

Errer dans les débris narratifs avec Pierre Barrault

« – Au fond, mon vieux, je crois qu’il n’y a plus rien à raconter. Nous sommes arrivés après l’histoire, après la structure, après le sens et la progression des choses, après leur développement. (…) On nous a confisqué la durée. (…) C’est terminé. On erre dans les débris narratifs. »


Ainsi parle à Bolusion, qui marche à côté de lui – c’est un livre où l’on passe la plus grande partie de son temps à marcher –, le narrateur de Flouter les pigeons, dont on ne sait pas encore (on n’est qu’à la page 14) qu’il s’appelle, au moins parfois, Artalbur, comme d’ailleurs l’auteur de Flouter les pigeons, lequel s’appelle aussi Artalbur, mais dans le désordre : Barrault (Pierre de son prénom). Car le désordre est partout, et notamment dans l’espace et dans le temps. Nous ne savons pas où nous sommes. Nous ne savons pas quand nous sommes. Artalbur, toutefois, en sait plus que nous : il sait qu’on ne sait ni où ni quand on est. Ce n’est pourtant pas faute de précision : les lieux ont des noms, et les années des numéros. Il n’en manque pas dans Flouter les pigeons :


« Nous étions en avril 2018 au sortir de la gare de Montpellier-Saint-Roch. Nous nous trouvions désormais, moins de cinquante mètres plus loin, après avoir traversé la place Auguste Gibert, en août 2008.

Te sens-tu plus jeune de dix ans ? Demandai-je à Bolusion.

Haha, non, me dit-il, absolument pas.

La rue Girard était en août 2008, la rue de l’Aiguillerie en avril 2018 ainsi que les rues Bocaud et Sainte-Ursule.

Je prenais des notes dans un carnet. »


En effet c’est plus sûr. Le désordre est partout et le sens n’est qu’une illusion, aussi bien que le sens, d’ailleurs. On n’a pas pris la peine de flouter les chiens – en revanche, les pigeons, si. Pourquoi ? Le monde est juste une catastrophe. D’ailleurs c’est le titre d’un précédent Barrault, lequel n’en est plus à son premier méfait. Notre monde est juste une catastrophe. La preuve : Artalbur s’y écrit Barrault.

Flouter les pigeons paraît le 28 mai 2025, à moins qu’il ne soit paru le 7 janvier 2035, ou bien qu’il paraîtra le 29 août 2015, chez Quidam éditeur a priori. 



lundi 19 mai 2025

Le Contrat, par Franquin et Kafka, épisode 71

Lorsque Messerschmied se résolut à tenter une nouvelle fois sa chance chez Brunnen, il trouva tout le personnel casqué. Toutes les personnes qu’il croisa dans les couloirs en se rendant au bureau de Monsieur Schlehe étaient casquées. En dehors de cette nouvelle bizarrerie, il n’y avait rien d’anormal dans leur comportement : chacun vaquait à son travail comme si de rien n’était – mais avec un casque sur la tête. Messerschmied arriva enfin au bureau de Monsieur Schlehe, qu’il trouva casqué lui aussi, et qui le regarda avec des yeux exorbités, avant de se précipiter vers lui en lui tendant un casque et lui enjoignant de le mettre sur sa tête. Messerschmied eut un temps d’hésitation avant de se laisser convaincre. Un temps de trop : déjà son crâne lui faisait atrocement mal tandis qu’un ricanement proprement inhumain résonnait derrière lui.

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samedi 17 mai 2025

Souvenirs de ma mère, Les Singes rouges, 6

 Avoir sept ans avant de partir


Elle est née dans un pays qu’on appelait la Guyane. C’est là qu’elle a vécu sa petite enfance, jusqu’à l’âge de sept ans. Et puis ses parents sont retournés en Martinique. Elle est « retournée » en Martinique – avec ses parents.

Quand il dit ces mots-là, ceux qui sont écrits juste au-dessus, il a l’impression d’écrire des mots de son enfance, son enfance à lui. Surtout Guyane. Mais même Martinique. Même Martinique, il se souvient de ce mot avant qu’il désigne quelque chose de sa vie réelle. Il se souvient de la Martinique avant la Martinique. Coïncidence. Lui aussi, il avait sept ans. Lui aussi, avant sept ans, il n’avait jamais vu la Martinique. Mais la coïncidence s’arrête là.

Car pour lui, avant sept ans, Martinique et Guyane étaient à peu près synonymes. C’étaient les noms des pays lointains et différents de l’enfance de sa mère. Les écoles n’y étaient pas en pierre meulière. Les arbres de la cour n’étaient pas des tilleuls élagués. C’était un ailleurs, un ailleurs à deux noms.

Je suis allé à la Martinique. Je suis allé au Gros Morne. Je suis allé à la plage de Sainte-Anne pour me baigner.

Alors que pour elle, à cet âge d’avant sept ans, c’était la Martinique qui était l’ailleurs, et la Guyane était l’ici.



Souvenirs de mon père, 40 (Paris, pendant l’Occupation)

Une fois, par curiosité, tu es allé jusqu’à Gretz, dans la « villa » de ta tante (c’était une résidence secondaire ; elle vivait à Arras). Un carreau de la fenêtre de la cuisine était cassé, tu as pu entrer à l’intérieur. Tu as pris l’habitude de venir le week-end à vélo (c’était à environ quarante-cinq kilomètres) pour cultiver le jardin. Tu rapportais tes récoltes à Paris.

A Gretz, tu avais fait la connaissance de la voisine, qui avait six garçons. Elle possédait un appartement vide rue Boyer, dans le XXe. Elle vous a proposé d’aller y habiter. Comme vous ne pouviez pas rester éternellement chez Madame Nicollet, vous avez accepté. Mais il n’y avait vraiment pas de confort, alors finalement tu as décidé que vous iriez habiter chez ta tante à Gretz, au forcing. Mise devant le fait accompli, elle a été furieuse. Finalement, elle s’est habituée.

Peu de temps après, ta grand-mère Bonne Maman est morte, à Arras. Mais tous les départements au nord d’Amiens étaient en zone interdite. C’était très difficile d’y aller. Seule ta mère et ta sœur ont pu aller à son enterrement. (Ensuite, quand les Allemands ont envahi la zone libre, les liaisons vers le nord de la France se sont assouplies.)

jeudi 15 mai 2025

Hypnotisé par le chant de la plinthe (Dominique Quélen)

« Je veux dire ceci. Certaines choses mécaniques se détachent sur le devant. Tout le trajet n’est que pour aboutir à une feuille apposée sur une porte. Je note un espoir en haut de l’image mais je suis déjà parti. Un événement qui dure une semaine est soudain présent. Nous continuons de manger. Je me nourris en étant accablé de tristesse. C’est ici.


Je cherche une forme qui ait un aspect. Je déplie le plan en partant. On a des systèmes de pas dans la neige matinale qui fonctionnent. Le coin a une petite production de beauté. Vous vivotez dans un endroit et c’est une énigme. Vous avez une erreur dans la verdure. On décolle. On décolle tout puis c’était en parlant qu’il fallait déplier le plan.


Tu regardes ce qui a pénétré dans l’arête du mur. Vous partez sur l’idée d’une description complète du phénomène. Nous voudrions être un ou deux mais c’est difficile. Deux camions traversent. Quelque chose est poursuivi. Nous traversons une flaque à la nage. Tu vas plutôt bien. Impossible de savoir si nous sommes chasseur ou gibier car il est tôt.


Vous entrez dans les fourrés au premier plan avec l’apparition du globe et de la guerre. Un nom est une arme. Nous parcourons des lieux le lendemain. Une animosité pareille à de la poésie est prévue. On oublie beaucoup de choses ici mais vous n’avez rien. Un verbe se retire au fond de la phrase. La simplicité débarque. Voici une plaque tectonique. »


C’est une page du Chant de la plinthe de Dominique Quélen paru l’an dernier chez LansKine. Il y a une contrainte ou un protocole quelque part mais je ne saisis pas lequel. Je m’en soucie moins que de l’effet de cette lecture sur moi. C’est quelque chose comme de l’hypnose. Je ne fais même pas exprès d’écrire ce commentaire comme je l’écris.






mercredi 14 mai 2025

Mon classique du mercredi : Gaspard de la Nuit, d’Aloysius Bertrand

Un peu plus tard, désormais étudiant, je découvris Gaspard de la Nuit, d’Aloysius Bertrand – réputé pour être, peut-être, l’inventeur du poème en prose. Mais c’est surtout mon goût pour une poésie d’inspiration onirique qui était comblé. Scarbo est le deuxième poème du troisième livre de Gaspard de la Nuit : « La Nuit et ses prestiges ».



mardi 13 mai 2025

Macron à Koh-Lanta : pour un vote contre ?

Pas de Koh-Lanta ce soir. Les amateurs de ce jeu télévisé voient leur programme remplacé par un autre : une allocution du Président de la République. Qui a choisi ce créneau ? Quel message subliminal tente-t-on de nous faire passer ? Le principal intéressé est-il bien conscient que le choix de ce créneau n’est pas complètement anodin ? Car Emmanuel Macron, dont on ne peut que sentir le désir ardent de se refaire une virginité politique (mais sur quoi et à quel prix ?) tant ce désir sent fort, pour dire les choses pudiquement, va remplacer par son auguste personne un jeu – Koh-Lanta – dont le principe est fondé sur le vote. En effet, à chaque émission, un candidat, pas nécessairement le plus mauvais ni le plus antipathique, est éliminé par le vote. En effet, à Koh-Lanta, on ne vote pas pour (sauf à la finale), mais contre.

J’avoue que personnellement, en politique, le vote contre, je serais plutôt pour. En réalité, c’est déjà le cas, mais d’une manière parfaitement hypocrite. La majorité des Français qui ont « élu » Emmanuel Macron n’ont pas voté pour lui : ils ont voté contre Marine Le Pen (pour « éliminer » Marine Le Pen, dirait-on à Koh-Lanta). (J’avoue que, même quand Emmanuel Macron n’existait pas, le bulletin que j’avais mis dans une urne sans illusion au nom de François Hollande n’avait pour but que de participer à éliminer qui-vous-savez.) Pourquoi poursuivre avec un système aussi hypocrite ? On voit bien le bénéfice que peuvent en retirer les Emmanuel Macron ; mais quel bénéfice pour les Français ? Et surtout, quel bénéfice pour la démocratie ?



lundi 12 mai 2025

Le Contrat, par Franquin et Kafka, épisode 70

Messerschmied accepta de retourner chez Brunnen, à la condition que ce soit le soir, après la fermeture des bureaux. Sans doute était-ce – mais il refusait de se l’avouer – une façon de faire payer à Monsieur Schlehe les différentes mésaventures dont il avait été la victime, en obligeant ce dernier à faire des heures supplémentaires. Messerschmied, quant à lui, était son propre patron ; peu lui importait l’heure – et pourtant il était plutôt d’humeur maussade ; il aurait bien préféré au fond être tranquillement chez lui à cette heure tardive. Aussi quand, ouvrant la porte de l’ascenseur, il se piqua à un énorme cactus qui se trouvait à l’intérieur – c’était donc sous cette forme que l’incongru se manifestait pour cette fois –, cela suffit-il pour le décider à faire demi-tour aussitôt.

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samedi 10 mai 2025

Souvenirs de ma mère, Les Singes rouges, 5

 Connaître le nom des singes


Il ne sait pas le nom du fleuve, et il ne sait pas non plus le nom des singes. Car il sait que les noms de là-bas, les noms de là-bas et d’autrefois, ce ne sont pas les noms que l’on apprend ici et maintenant dans les livres.

Il connaît plutôt bien les noms qu’ici dans les livres on donne aux singes de là-bas. De là-bas et d’ailleurs.

Il connaît aussi le nom qu’on donne à là-bas. On appelle là-bas « Guyane ». « Guyane » est le nom du pays où elle est née.

Elle est née en Guyane. Sa mère est née en Guyane. Elle est née dans un pays qu’on appelait la Guyane et qui n’existe plus puisque rien ne dure. Mais il doit quand même rester, là-bas, dans un autre pays qu’on appelle « Guyane » aujourd’hui, il doit rester quelques singes rouges.


Il se dit que sûrement, les cris des singes rouges de l’autre côté du fleuve étaient les cris des singes hurleurs. Ici on les appelle des singes hurleurs. Quel nom, lui, doit-il leur donner ? Il a envie de les appeler des alouates. C’est leur nom d’origine caraïbe.

Et un jour il va lui demander quel nom donner au fleuve.

Souvenirs de mon père, 39 (Paris, pendant l’Occupation)

Finalement, tu as été détaché de ces groupes qui travaillaient pour les Allemands pour aller effectuer des travaux privés dans des sociétés françaises. Tu t’es spécialisé dans l’installation des standards téléphoniques. Au moment de la mise en marche, c’était toi qui faisais la démonstration de l’installation devant le personnel.

Il vous arrivait encore de travailler pour les Allemands, dans d’autres services que la Todt. Une fois, tu as eu à travailler dans un service de police allemande, rue de la Faisanderie. Il y avait là une jeune Allemande qui vous donnait des gâteaux. Elle avait l’habitude de s’asseoir sur le radiateur pour discuter. Une fois, vous aviez déposé un fer à souder encore chaud sur le radiateur (pour éviter de brûler le tapis). Elle s’est brûlée. Malgré vos protestations, elle a cru que vous l’aviez fait exprès et elle ne vous a plus adressé la parole.

En parallèle, tu suivais toujours tes cours aux Arts et Métiers.

jeudi 8 mai 2025

à paraître

Un même désir de reconnaissance


aux éditions LansKine



mercredi 7 mai 2025

Mon classique du mercredi : Un roi sans divertissement, de Jean Giono

Celui-ci vient de loin. C’est mon ami Michel qui m’en parlait souvent ; il l’avait étudié en classe, en 4e je crois bien ; son prof n’avait peur de rien. Michel n’était pas un littéraire et je n’avais pas retenu le titre. Des années plus tard – nous nous étions déjà perdus de vue ; j’étais déjà étudiant lorsqu’à la librairie d’occasion la Galerie de la Sorbonne, sur le trottoir de la rue des Ecoles, j’ai trouvé pour dix francs le livre que je tiens entre les mains. C’est en lisant la quatrième que je me suis souvenu. Folio avait choisi comme extrait les toutes dernières lignes du livre. C’est pourquoi ce sont celles que je lis aujourd’hui.



mardi 6 mai 2025

court toujours (330)

Tu aimerais bien que ça ait un sens, mais en fait non. Au mieux, ça en aura plein, et ils seront tous contradictoires.



lundi 5 mai 2025

Le Contrat, par Franquin et Kafka, épisode 69

Messerschmied était vraiment de bonne composition, car il accepta de retourner chez Brunnen. Après tout, peut-être que tout aurait pu bien se passer. Quand il voulut s’asseoir sur le fauteuil que lui avait indiqué Monsieur Schlehe, Messerschmied ne vit pas que celui-ci était déjà occupé, puisqu’il ne l’était pas. Pourtant Messerschmied ressentit une douleur fulgurante au postérieur : un chat avait sans doute été installé là, comment autrement expliquer la présence incongrue d’une arête de poisson qui s’était plantée dans le postérieur de Messerschmied ? C’était comme le fantôme d’un chat qui, une nouvelle fois, venait de se venger de l’affront que représentait à ses yeux la présence de Messerschmied.

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